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PARAÎTRE OU DISPARAÎTRE, suite

Bonjour,

Voici la suite de l’histoire que vous attendiez, « Paraître ou disparaître ». Désolée pour l’attente alors que je vous avais promis une suite qui paraîtrait rapidement mais j’ai dû changer de PC et cela ne se fait pas sans difficultés. Ce fut même long et particulièrement complexe !

Me revoici donc et vous n’avez rien perdu à attendre car cette nouvelle s’est développée pendant ce temps. J’ai fini de l’écrire, la fin sera surprenante. La devinerez-vous avant de la lire ? Ce n’est pas certain. Il y aura encore quelques épisodes avant que vous la découvriez. Votre patience sera récompensée !

Bonne lecture !

Résumé de l’épisode précédent :

Éthan a compris que l’autre est son double parfait même s’il a du mal à l’admettre. Il en profite car pendant que l’individu travaille, lui se fait plaisir. Mais un soir l’étranger lui fait comprendre que cela a assez duré, qu’il est fatigué et qu’Éthan doit reprendre le seconder. Ce dernier refuse. Son double devient alors violent et commence à étrangler Éthan terrifié. Curieusement le lendemain, l’autre est redevenu doux. Éthan tente alors de le questionner sur son origine et son identité, sans obtenir de réponse. Il en déduit qu’il doit se méfier de lui d’autant que le lendemain il s’aperçoit qu’il porte les mêmes stigmates d’étranglement que lui.

Quand Éthan se réveilla, l’autre n’était plus là. Il se sentit soulagé d’être seul, il aurait les idées plus claires.

Avant de partir, le squatteur s’était contenté de programmer la cafetière et de disposer sur la table le strict minimum. Les petites attentions qui avaient agrémenté le quotidien d’Éthan depuis l’apparition de ce clone dans son existence bien réglée s’étaient envolées.

Le café à peine avalé, il s’habilla rapidement et quitta précipitamment son appartement comme s’il en était chassé.

Une fois dans la rue, il consulta son smartphone pour dénicher l’adresse d’un armurier. Posséder une arme c’était bien mais il se sentirait plus en sécurité s’il y avait des balles dans le barillet. Si l’autre savait tout de lui, il ne pourrait pas deviner qu’Éthan s’apprêtait à charger l’arme. Il déposa son permis sur le comptoir du magasin et passa sa commande. Le vendeur le dévisagea comme s’il avait quelque chose de louche.

            — Vous allez bien, monsieur ? demanda-t-il.

            — Oui ! Pourquoi voulez-vous que ça n’aille pas ?

            — Je demande ça comme ça. Vous n’avez pas l’air dans votre assiette.

            Le front luisant d’Éthan, ses mains moites qui laissaient leur empreinte humide sur la surface en verre du comptoir, sa nervosité ne passaient pas inaperçus pour l’œil expérimenté du commerçant.

            — Si je peux vous aider…

            Il voulut lui dire de se mêler de ses affaires mais il se retint pour ne pas attirer davantage l’attention d’autant qu’un autre client venait d’entrer, ce qui actionna la cloche reliée à la porte.

            — Juste une digestion difficile ce matin. Le café n’arrive pas à passer, prétexta Éthan.

            — Ça m’arrive aussi parfois, répondit le vendeur tout en lui annonçant le prix à payer.

            — Par carte bleue, s’il vous plaît !

            Éthan récupéra son petit paquet et tourna les talons sous le regard appuyé et perplexe de l’armurier guère convaincu par le motif qu’il lui avait donné.

            Plus loin, il s’arrêta dans un bar pour commander une pression mais surtout pour faire le point sur sa situation. Il avait une arme. Il avait des munitions. Il restait à décider à quoi cela lui servirait. Après tout, quand l’autre lui avait sauté à la gorge pour l’étrangler, il n’aurait pas pu dégainer son révolver s’il l’avait eu sur lui, tant il avait été surpris par l’accès de violence. Non, il devait s’y prendre différemment. Il ne pouvait pas attendre sagement que son clone rentre pour le mettre sous la menace de son arme. Ce dernier ne comprendrait pas puisqu’ils s’étaient quittés en bons termes le matin. Il fallait élaborer une stratégie plus fiable. Il ne pouvait pas non plus attendre, ne rien faire, et qu’il lui impose de nouvelles exigences, à commencer par le fait de devoir travailler dès le lundi suivant ou qu’il pique une nouvelle colère et lui saute à la gorge. Non, il avait eu assez peur la dernière fois et il ne tenait pas à revivre la scène. Il ne pouvait pas se contenter de le menacer afin de le faire déguerpir car dans ce cas il devrait retourner bosser et cela ne l’enchantait pas. Il ne pouvait pas l’effrayer afin de l’éloigner sans prévoir ce qui se passerait ensuite car il pourrait tout bonnement revenir et se venger voire le tuer, se débarrasser de son corps et prendre définitivement sa place. Ses comptes bancaires étaient bien garnis et il pourrait faire main basse dessus en toute légalité. Cette idée le hantait de plus en plus d’autant qu’ils avaient tous deux les marques d’étranglement sur leur cou et qu’il ne pouvait pas lui demander d’où provenait ces traces suspectes. Et s’il se les était faites lui-même dans l’urgence pour ressembler trait pour trait, blessure pour blessure à Éthan parce que la substitution totale des deux hommes était proche ! Cela signifiait probablement que sa disparition pure et simple était préméditée et dans ce cas la police n’envisagerait pas une seconde sa mort puisqu’elle aurait sa réplique exacte sous les yeux tandis que lui, le véritable Éthan, serait mort ! Il n’avait aucune aide à espérer, même pas des forces de l’ordre qui le prendraient pour un fou s’il tentait de tout leur raconter. Beaucoup de gens envient les jumeaux parfaits, leur complicité, l’amour qu’il se vouent… Éthan avait mieux que cela, il avait un double de lui-même mais il ne s’était jamais senti aussi seul de sa vie.

            Son cerveau était en ébullition, sa nervosité à son comble si bien qu’il renversa la totalité de sa bière d’un mouvement de bras non maîtrisé. Le serveur accourut aussitôt, lavette et torchon blanc à la main pour essuyer les dégâts.

            — Ça va, monsieur ? Pas trop mouillé ?

            Éthan lui décocha un regard enflammé et des paroles venimeuses :

            — Foutez-moi la paix ! Qu’est-ce que vous avez tous aujourd’hui à me demander si ça va ? Allez vous faire foutre !

            Il se leva brusquement et allait partir quand le garçon l’interpella timidement, en restant éloigné :

            — Monsieur, vous n’avez pas réglé l’addition.

Éthan fit volte-face et jeta un billet chiffonné sur la table puis, sans demander son reste, il sortit en trombe du bar sous l’œil étonné des clients. Sur le pas de la porte, il bouscula un enfant qui tomba et se mit instantanément à pleurer. Sans même s’excuser il fila et disparut au coin de la rue, insensible aux quolibets fleuris des témoins.

            Il erra ensuite dans la ville, au hasard des rues, détournant le regard chaque fois qu’une vitrine s’emparait de son reflet. Qu’avait-il fait pour provoquer cette situation ? Rien, il en était sûr. Cela dépassait l’entendement, cela le dépassait mais ce dont il finissait par se convaincre c’était qu’il devait reprendre en mains sa vie sous peine d’être phagocyté par l’autre au caractère trop affirmé à son goût et à la brutalité dissimulée mais bien présente.

            Perturbé jusque dans ses entrailles, il ne toucha pas au repas qu’il avait commandé dans le restaurant où il avait pourtant ses habitudes ces derniers temps.

            — Ça va monsieur Boccello ? demanda le serveur qui le connaissait bien.

            Il ne voulait plus entendre cette question. Il ne pouvait plus entendre cette question. Il se voyait sauter sur le jeune homme, lui asséner des coups de poings en pleine face, lui fracasser l’arête du nez et le propulser à travers toute la salle pour le faire taire. Il parvint in extremis à se maîtriser et choisit finalement la fuite pour éviter les problèmes.

            — Mettez ça sur mon compte, je dois rentrer.

            — Bien sûr monsieur Boccello, ce sera fait !

            Jamais il n’avait été violent. Jamais il n’avait ressenti une telle rage en lui et cette difficulté à se maîtriser. Ce pacte faustien qu’il n’avait jamais réclamé devait cesser au plus vite avant qu’il ne sombre dans la folie. Il devrait reprendre les rênes de sa vie.

Tout D’abord, l’autre devrait partir loin, très loin et ne plus jamais chercher à le contacter ou à revenir. Il ne devrait plus jamais entendre parler de lui, comme s’il n’avait jamais existé. Il ferait en sorte qu’il disparaisse et lui retournerait travailler à la banque comme avant. Mais il n’essayerait plus d’être le trader du mois ni celui de l’année. Ça, c’était fini ! Et s’il y avait une seule chose positive dans cette expérience avec son double c’était justement cette prise de conscience radicale qu’il passait depuis trop longtemps à côté de sa propre vie ! Tout était à reconstruire désormais. Il reprendrait contact avec sa famille et irait voir ses parents qu’il avait délaissés alors qu’il les savait âgés et fatigués. Au boulot, il bosserait honnêtement en veillant à préserver sa vie privée. Les journées qui commençaient avant tout le monde : terminé. Les repas pris sur un coin du bureau à côté du P.C : terminé. Les départs de la banque à point d’heure alors que les techniciens de surfaces nettoyaient les open-spaces désertés depuis longtemps : terminé. TERMINÉ ! Éthan Boccello tirerait un trait définitif sur le passé. Il allait vivre et profiter car il y avait bien une vie après le travail.

Mais pour que tout cela se concrétise, il fallait mettre fin aux ambitions de son clone au plus vite. Sa décision était prise, irrévocable et rien ne le ferait vaciller.

            Rien sauf l’autre, songea-t-il soudain. Et s’il refusait tout bonnement ce deal considérant qu’il n’avait rien à y gagner. Éthan pouvait-il le contraindre à renoncer à tout : l’argent sur les comptes bancaires, le statut professionnel, l’appartement… ?

            Il parlait à haute voix, tout seul, faisant de grands gestes à droite et à gauche pour accompagner ses paroles. Il pesait le pour et le contre des possibilités qu’il envisageait. Les passants se retournaient sur son passage tant il se comportait étrangement. Sa chemise encore mouillée lui donnait un air négligé et lorsqu’ils repéraient les marques sur son cou ils faisaient un écart. D’autres riaient simplement de le voir s’agiter dans le vide.

            Il était planté devant son immeuble depuis dix bonnes minutes quand il se rendit compte qu’il était arrivé. Trop absorbé par les divers scénarios, il avait totalement occulté le monde extérieur. Un voisin qui sortait de l’allée le replongea dans la réalité.

            — Bonsoir monsieur Boccello.

            Éthan leva le nez vers lui et tenta de répondre en s’efforçant vainement de mettre un nom sur le visage croisé :

            — Bonsoir monsieur… Euh !…

            Comme sa mémoire le trahissait, il renonça à se souvenir d’autant que l’homme s’était déjà éloigné.

            Il grimpa au troisième étage, sortit ses clés, pénétra chez lui et après s’être dévêtu et changé, il mit son plan à exécution.

            Il avala d’abord trois bonnes doses de son meilleur whisky pour se donner du courage puis, sans hésiter, il tira un fauteuil dans le couloir comme s’il déménageait. Le meuble, particulièrement lourd semblait résister et vouloir rester là où il se trouvait mais de poussées en de tractions répétées, Éthan finit par l’installer face à la porte d’entrée, à distance respectable, histoire de ne prendre aucun risque d’être à nouveau agressé. Confortablement installé à ce poste d’observation improvisé, à l’affût, il bénéficierait d’un champ de vision suffisamment dégagé et d’un contrôle parfait des déplacements qu’il exigerait de l’autre.

            Il se versa un quatrième verre d’alcool et même si son esprit était de plus en plus embrumé, il savait tout à fait ce qu’il avait à faire. Il attrapa une valise qu’il ouvrit sur le lit et vérifia que du fauteuil il verrait à la fois l’entrée, le dressing et la chambre. Parfait !

            Il refit mentalement un point et, satisfait, il se posa dans le fauteuil, arme chargée à la main. Il attendit son clone, prêt à en découdre avec lui.

            Quatre heures plus tard, alors que le nuit était tombée depuis longtemps, un cliquetis dans la serrure annonça l’entrée imminente de celui dont Éthan voulait se débarrasser.

Éthan, revolver fermement braqué sur la porte.

Le clone, yeux exorbités quand il découvrit Éthan armé, qui le menaçait.

Éthan, souriant et confiant car il avait tout calculé.

Mais vingt minutes plus tard trois coups de feu claquèrent dans l’appartement et résonnèrent dans tout l’immeuble alertant le voisinage.

Le plan d’Éthan n’avait pas fonctionné comme il l’imaginait.

(à suivre)

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La suite paraîtra très prochainement.

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Mon prochain article (avant la publication de la suite de cette histoire) sera très bref. Il aura simplement vocation de vous annoncer ma prochaine séance de dédicaces au cours de laquelle vous pourrez me rencontrer.

Littérairement vôtre,

AUDREY DEGAL

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DOMINIQUE

Bonjour à toutes et à tous,

Avant de vous offrir la suite de l’histoire « Paraître ou disparaître » dont deux épisodes sont actuellement en ligne, je voulais moi aussi, à ma façon marquer la JOURNEE DE LA FEMME et quoi de mieux qu’une histoire ! Je vous la livre ici en intégralité et j’espère que vous aurez du plaisir à la lire. Elle est tirée de mon recueil de nouvelles « DESTINATIONS ETRANGES » (cliquez dans « MENU » pour découvrir le livre, sa 4e de couverture et des extraits). Je vous laisse la savourer jusqu’à la dernière ligne et je vous donne rendez-vous très rapidement pour lire la suite de l’histoire à suspense « Paraître ou disparaître ».

Merci de vous abonner en retour (par email ou Facebook ou Twitter ou Instagram… ). Chaque nouvel abonné est source de joie pour un auteur !

Tout est gratuit et vous ne recevrez pas de publicité, juste un message lorsqu’ je publie une nouvelle histoire et un lien sur lequel cliquer pour y accéder rapidement. S’abonner est, pour les lecteurs de ce site, une façon de remercier l’auteure que je suis, de l’encourager, de la soutenir

Je vous souhaite une agréable lecture et une excellente semaine !

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Partir, oui vouloir partir…

…mais ne pouvoir aller nulle part !

DOMINIQUE

Il fallait bien sortir ! Oui mais ce n’était pas toujours si simple ! La vie n’est pas si simple  !

Du placard du couloir de son appartement, au cinquième étage, Dominique sortit des chaussures et une veste. Il faisait un peu frais ce matin-là, même si plus tard dans la journée le soleil réchaufferait largement l’atmosphère. Ce serait une belle journée de septembre. Une belle journée, oui, mais pour qui ? Pas pour Dominique, assurément !

Un tour de clé dans la serrure et déjà ses sens en éveil balayaient son environnement. Écouter tout d’abord pour savoir si quelqu’un montait ou descendait les étages dans la cage d’escaliers. Mais il n’y avait personne, pas plus que dans l’ascenseur immobilisé. Voir ensuite, s’assurer que la lumière traquait les moindres recoins. On ne sait jamais ! Quelque malfaiteur pourrait bien se dissimuler quelque part, n’importe où, prêt à bousculer sa victime, à voler son argent et à la maltraiter pour lui faire avouer les codes nécessaires afin d’utiliser les cartes de crédit. Il pourrait aussi en vouloir à sa personne et cela était pour Dominique le pire des cauchemars. Un tour d’horizon : il n’y avait pas âme qui vive sur le palier. Sentir aussi, car la fiabilité de l’odorat est souvent déconsidérée alors qu’un parfum s’exprime, plus qu’on ne le pense, indiquant qu’un individu est passé, il y a quelques instants. Mais Dominique ne humait que sa propre odeur. C’était épuisant de devoir toujours être ainsi, en alerte. C’était cependant son quotidien.

Alors Dominique dévala les escaliers, rapidement, flottant presque sur chaque marche. Il était déjà 7 heures et il ne fallait pas être en retard. Surtout pas ! Les gongs de la lourde porte de l’allée qui menait dans la rue n’avaient pas été lubrifiés. Un grincement désagréable résonna donc, qui alerta les passants quand Dominique surgit de l’immeuble. Tous se retournèrent. Les mains profondément enfoncées dans les poches de son pantalon, il fallait avancer jusqu’à l’arrêt de bus sans prêter la moindre attention aux mille yeux braqués, inquisiteurs. 5 minutes de marche, ce n’était pas le bout du monde après tout ! Oui et non, tout dépend où est le bout du monde. Pour Dominique, c’était loin et il fallait se frayer un passage en enfer. On l’observait. Pire, on lui parlait :

— Salut toi !

Dominique ne répondait pas. Il était impensable de répondre.

— Je te parle !

Détourner la tête, garder les yeux baissés – le goudron, c’est si beau ! du moins faut-il s’en convaincre, faute de mieux – faire comme si l’on n’avait rien entendu, faire comme si ce n’était pas important. Bref faire semblant. Mieux encore, rêver que l’on peut partir. S’imaginer des destinations lointaines. Fuir le poids du quotidien. S’évader ! Mentalement, c’était sa bouée de sauvetage, le rivage auquel il fallait s’accrocher désespérément pour ne pas sombrer.

Dominique se rappelait le lycée. On lui avait enseigné le théâtre et les masques portés par les personnages qui eux aussi faisaient semblant, faisaient comme si. Le héros le plus émouvant en la matière était bien Cyrano, amoureux fou de Roxane, qui faisait semblant de ne point l’aimer et qui écrivait, écrivait inlassablement des lettres d’amour qu’il signait du prénom de son rival, Christian. Jamais il ne fut démasqué. Seule l’imminence de sa mort avait révélé son vrai visage. Dominique s’en inspirait, ne laissant jamais rien filtrer, refoulant ses émotions, ses envies de rébellion qui grandissaient chaque jour et qui menaçaient d’exploser. Sa vie était si belle avant. Elle était faite de liberté de penser, d’agir, de plaisanter…

Outre la marche à pied, il y avait une autre épreuve, redoutable : l’attente du bus. Il n’était jamais à l’heure et il fallait patienter parfois fort longtemps, immobile. Pour certains, cela signifiait que l’on désirait se joindre à eux sans oser le dire. C’est extraordinaire de voir comme des individus prennent leurs idées pour des réalités, plus encore pour des réalités partagées, se persuadant qu’ils sont irrésistibles. Tout l’art consiste justement à leur résister sans s’attirer leurs foudres.

— Tu viens, je te paye un verre !

Pas de réponse.

— Après on peut passer un bon moment tous les deux !

Toujours pas de réponse.

Enfin, la délivrance : l’arrivée du bus. Dominique gravit les quelques marches et avança dans l’allée centrale. Comme d’habitude, il y avait un monde fou. C’était l’heure de pointe. Serrés comme des sardines dans une conserve trop étroite, les passagers devaient se supporter et tout supporter : odeurs de transpiration, parfum aspergé de mauvaise qualité, haleine fétide, gaz intestinaux largués en dépit du respect d’autrui… Tout cela était difficile à accepter et pourtant ce n’était rien à côté des mains baladeuses qui se promenaient sur les fesses arrondies et cherchaient même à fureter devant les jambes. Dominique se contentait de se retourner pour montrer sa désapprobation mais il était impossible d’identifier les passagers irrespectueux. Et puis il en était ainsi chaque jour. Cela devenait normal pour tout le monde. Il était strictement interdit de crier au scandale sous peine de se voir accuser de provocation, de port d’une tenue indécente… D’ailleurs, la publicité, les journaux et les politiciens se rendaient complices de cet état de soumission. Les premiers affichaient quotidiennement le sexe faible dans des tenues qui n’en étaient pas, dans des attitudes inconcevables, contribuant à ce qu’il soit perçu comme un vulgaire produit de consommation courante, comme une marchandise. Il n’était pas étonnant que même les enfants soient parvenus à se convaincre qu’il s’agissait d’une vérité. Les derniers parce que cela rendait le commerce florissant mais aussi parce qu’ils se réfugiaient derrière la thèse de l’évolution des mœurs, arguant que ce n’était pas grave et qu’il ne fallait pas accorder d’importance à cela. Après tout cela ne provoquait pas la mort… alors !…

Place de la République. 7 heures 20. Dominique devait descendre. Enfin, il lui serait possible de respirer et de bouger. Il faudrait marcher vite jusqu’au bureau.

7 heures 35.

— Dominique, dans le bureau du chef du personnel, on vous attend. Vite !

Serait-ce enfin la bonne nouvelle tant attendue ? Un poste s’était libéré et Dominique avait les compétences requises. Ils étaient deux en fait à briguer cette promotion.

Dominique frappa à la porte.

— C’est vous enfin ! Avant de vous asseoir, préparez-moi donc un café.

Il ne fallait surtout pas espérer un « s’il vous plaît ». Cinq minutes plus tard, ce supérieur hiérarchique despotique regardait Dominique entrer, les yeux rivés sur ses formes généreuses. Comment ne pas se sentir déshabillé ? En plus, il fallait feindre la joie d’être regardé, prendre cet effeuillage virtuel pour un compliment. Dominique s’efforça donc de sourire et posa le café sur le bureau.

— J’apprécie particulièrement votre travail. Vous êtes une personne efficace et dévouée. Chacun dit de vous que l’on peut compter sur votre sérieux et votre réactivité. C’est exceptionnel et nous sommes ravis de pouvoir vous compter parmi les membres de notre personnel.  Cependant…

Voilà ! Après les compliments, il venait de prononcer le mot qui blessait assurément. Il y aurait nécessairement un obstacle à sa promotion.

— Cependant – et croyez bien que la décision a été prise après mûre réflexion – le poste que vous briguiez ne vous sera pas confié. En effet, nous avons finalement choisi mademoiselle Noëlle Meredit dont le profil et l’expérience cadraient davantage. Vous ne déméritez pas pour autant et vous pourrez bien sûr renouveler votre candidature ultérieurement…

— « Après mûre réflexion », se moqua Dominique par la pensée. Et il faudrait que j’avale cela ? Je n’avais aucune chance. Je suis bête, mais pourquoi avoir postulé ? C’était perdu d’avance. « Renouvelez votre candidature ultérieurement »… je ne suis pas si stupide. C’est du temps perdu.

— Vous pouvez vous retirer !

Dominique n’afficha pas son dépit mais son cœur se serrait. Il était si bon le temps où tout était possible, le temps où on lui aurait confié ce poste, le temps où  sortir à n’importe quelle heure ne choquait pas, le temps où… À quoi bon ressasser tout cela, ce temps était bel et bien révolu. L’année 2025 qui s’achèverait dans deux mois serait la plus noire que Dominique ait connue mais 2026 arriverait avec son lot de surprises. Dominique n’avait pas l’ombre d’une idée de ce qui se tramait…

La journée fut terne, comme toutes les autres journées passées au travail. Dominique se levait de temps en temps et quittait son bureau pour se rendre dans la salle de reprographie. Évidemment, comme d’habitude on parlait sur son passage, on plaisantait. Comment nier que ses formes plantureuses étaient convoitées ? Mais Dominique traversait cet espace sans rien dire, regroupant les photocopies à faire pour éviter de répéter ce supplice.

Au réfectoire, lors de la pause-déjeuner, ce n’était guère mieux. Dominique aimait manger d’autant que le sport lui permettait d’éliminer aussitôt. Malgré cela, il lui fallait supporter les :

— Attention, tu vas grossir !…

ou

— C’est pas bon pour la ligne !

Un mètre soixante-treize pour soixante-deux kilos, il n’y avait pourtant rien à redire. Bon, toutes les journées ont une fin et celle-ci approchait enfin.

Dominique rentra à la maison. La fatigue avait fait son œuvre et ses traits étaient creusés. Le trajet de retour fut comme d’habitude aussi pénible que celui de l’aller mais enfin, il faudrait profiter de la soirée pour se détendre.

Dominique inséra sa clé dans la serrure et poussa la porte.

— C’est toi Dominique ?

— Oui, c’est moi !  Les enfants ont été sages ?

— Oui… enfin… je crois. Je ne les ai pas vus depuis un moment. Ils doivent être dans leur chambre.

— Comment ça tu ne les as pas vus ? Et les devoirs alors ? 

— Les devoirs… tu sais bien que ce n’est pas mon truc les devoirs, ils ne m’écoutent pas et en plus il y a une émission intéressante à la télévision. Viens voir !

— Zut ! Fichue soirée ! murmura Dominique.

18 heures 30. Dominique déposa quelques paquets sur la table de la cuisine. À l’intérieur  : une laitue bien pommée, des filets de flétan, deux citrons verts et quatre flans au caramel. La voix de Claude monta de la pièce d’à côté. Dominique jeta un œil et n’aperçut qu’une télécommande flotter dans l’air du salon. Une main l’actionnait avec vivacité.

— Qu’est-ce qu’on mange ce soir ?

— Salade, poisson, reste de légumes d’hier et flans au caramel. Mais tu sais…

— … J’espère qu’on mange vite, j’ai une faim de loup !

— Je te disais, ou plutôt j’essayais de te dire que je devais d’abord m’occuper des devoirs des enfants et qu’ensuite je préparerai le repas. Je n’ai pas quatre mains et tu devras attendre.

— Dépêche-toi alors !

— Au fait, j’ai dû payer les courses avec des espèces, ma carte bleue ne fonctionnait pas. Elle affichait « accès refusé ». D’ailleurs, il n’y avait pas que moi qui avais ce problème…

— Oui, c’est normal !

— C’est normal ?

— Je t’expliquerai… mais laisse-moi, je veux suivre le reportage. Ils ne vont pas le repasser pour moi !

20 heures, les devoirs étaient faits, les leçons apprises. Il fallait encore doucher les enfants et préparer le dîner.

— Quand est-ce qu’on mange ? demanda Claude. Je trouve que ça traîne !

— Tu es à la maison depuis plus longtemps que moi. Tu aurais pu m’aider ! Nous serions à table à l’heure qu’il est et…

L’atmosphère se tendit.

— Ne me parle pas sur ce ton ! coupa Claude. Les tâches domestiques c’est ta partie, pas la mienne. Moi je m’occupe du reste.

— Et c’est quoi le reste ?

— Tu sais bien, je ne vais pas t’apprendre le fonctionnement du monde. Moi, je suis doué en mathématiques, en physique…

— Justement à propos de mathématiques, c’était le devoir de Julie. Tu aurais pu…

— … non, les devoirs, je ne les ferai jamais faire ! Et puis tu t’occupes bien mieux des enfants que moi. Un point c’est tout !

Deux heures plus tard, Dominique débarrassait la table. Ses paupières étaient lourdes. La machine à laver le linge chargée, il fallait songer à s’offrir un moment de détente avant de dormir et que ne recommence une nouvelle journée de travail. Dans le salon, un fauteuil lui tendait enfin les bras !

— Ta journée s’est bien passée ?

— Non, pas vraiment. Je n’ai pas obtenu le poste que je demandais. Tu t’en souviens ?

— Oui, je me rappelle, tu m’en avais parlé.

— Et tu trouves ça normal ?

— Non, bien sûr, mais… en même temps, il fallait justifier de diplômes conséquents que tu n’avais peut-être pas !

— C’est toujours pareil ! Si, je les avais ces diplômes vois-tu, mais la direction a choisi mademoiselle Meredit.

— Une autre fois, tu auras peut-être plus de chance. Il ne faut jamais se décourager.

— C’est facile à dire quand on est dans ton cas.

— Que veux-tu dire ?

Dominique explosa.

— Tu le sais bien et tu t’en accommodes. Toutes les portes sont toujours fermées pour le sexe faible et cela va en empirant. Regarde, j’aime la moto, comme toi, j’aime être sur la selle mais quand j’ai voulu postuler au permis, le gouvernement venait d’en interdire l’accès. « Cela témoigne de trop de caractère et d’une indépendance incompatible » avec le sexe. Voilà ce qu’on m’a répondu. Et puis regarde tous les stéréotypes qu’il faut supporter et avec lesquels tu es toi aussi d’accord : on s’occupe mieux des enfants, du ménage, on n’est pas doué en maths… même les discours scientifiques s’emparent de ces stupidités pour bien établir la distinction entre sexe fort et sexe faible. Mais la vie devient étouffante, ce n’est plus supportable, c’est un retour en arrière inconcevable mais accepté parce qu’il permet l’économie de la réflexion. Même les enfants sont formatés dès l’école : qui tient le balai sur les images de leurs livres, qui fait les courses, qui dirige les entreprises, qui obéit toujours ?…

Claude regardait Dominique qui parlait en faisant de grands gestes et en tournant dans le salon comme un félin enfermé.

— Et la liberté dans tout ça hein ? Elle est foulée aux pieds ! Tiens regarde la revue littéraire que tu as dans les mains : encore un prix décerné et à qui est-il décerné, hein ? À Terry Chapdow ! Et cela ne te surprend pas, bien sûr que non, tout le monde en a tellement l’habitude. On nous  colle des étiquettes dès la naissance ! C’est une sorte de formatage social mais surtout d’interdits pour les uns et de privilèges pour les autres, le tout sous couvert des lois.

— Calme-toi ! On va t’entendre !

— Et alors, on va m’arrêter et me jeter en prison pour infraction à la loi ? Qu’on m’arrête  ! J’en ai assez de cette chape de plomb, des écarts salariaux, des tâches domestiques oui, des tâches domestiques car nous travaillons tous les deux mais quand je rentre, il faut que je fasse tout pendant que tu te reposes. Et moi dans tout cela ? Quand est-ce que je souffle ? J’existe pourtant, moi aussi je ressens la fatigue en fin de journée…

— Ne crie pas si fort. Je te comprends tu sais !

— Faux, tu ne comprends rien du tout et tu profites du système parce que c’est mieux pour toi aussi. Qui s’est insurgé quand la loi de 2020 a été votée qui nous interdisait de disposer librement de notre salaire ? Personne ou plutôt si, certains, vite emprisonnés ! Qui a osé protester en 2021 alors qu’il a été décidé de nous interdire d’adhérer à un syndicat sans autorisation ? Qui a hurlé au printemps 2021, quand a été supprimée la loi de 1945 qui affirmait la notion de « travail égal, salaire égal » ? Qui s’est insurgé en 2022, lorsque l’on nous a imposé de justifier d’une autorisation du partenaire pour obtenir un travail ? Et la pire de toute, hein la pire qui fait de nous des objets, promulguée en septembre 2025, voilà à peine deux pauvres petits mois, qui empêche de porter plainte pour harcèlement sexuel. Le harcèlement n’existe plus, comme par magie ! Tout de monde est devenu beau et gentil avec nous. Et pourtant je le subis, moi, le harcèlement sexuel : le matin en attendant le bus, puis à l’intérieur, au travail… Mais ça, ce n’est pas important, c’est devenu la norme. Mon Dieu mais que vont-ils encore inventer, quelle sera la prochaine loi qui…

— …Justement. Je voulais te parler de ta carte bleue. Elle n’a pas fonctionné tout à l’heure parce que le gouvernement vient de décider que vous ne pourriez plus être titulaires d’un compte bancaire et donc d’un tel moyen de paiement.

Dominique s’effondra sur un fauteuil, sans énergie, les yeux hagards. Claude renchérit :

— Personne ne doit être choqué par cette décision. C’est un moyen de vous protéger contre les achats compulsifs dont les scientifiques affirment qu’ils…

— …Tais-toi Claude ! Je t’en supplie, tais-toi ! Je ne peux plus rien entendre ce soir !

Telle une ombre, Dominique gagna sa chambre à coucher et s’allongea sous les couvertures chaudes, espérant trouver le sommeil. Toute cette vie ne pouvait être qu’un abominable cauchemar et le réveil réparerait la situation en rétablissant la réalité. Chacun retrouverait alors sa véritable place et le monde, celui d’avant, reprendrait ses droits, son fonctionnement, son ronronnement si bien rodé. Tant de livres, tant d’histoires, commençaient ainsi, par une vie impossible dont le héros ne voyait pas la fin et puis soudain, il se réveillait et retrouvait sa douce existence, avec ses privilèges, quand bien même ceux-ci privaient d’autres êtres de liberté. Mais Dominique ne ferma pas l’œil de la nuit et Claude, qui dormait à ses côtés du sommeil du juste, lui rappelait qu’au matin sa sombre vie se poursuivrait. Le mythe de Sisyphe était à l’œuvre. Sa vie ressemblait à une peine injuste à laquelle les Dieux auraient condamné sa personne en raison de son sexe.

*

Le réveil sonna. Dominique ne déjeuna pas.

Il fallait bien sortir ! Oui mais ce n’était pas toujours si simple ! La vie n’est pas si simple  !

Du placard du couloir de son appartement, au cinquième étage, Dominique sortit des bottes et un imperméable. Il pleuvait ce matin-là. Le soleil ne montrerait pas son nez de la journée. Il ne réchaufferait pas l’atmosphère gonflée d’humidité. Ce serait une journée de septembre identique à toutes les autres journées sordides. Ce serait une belle journée pour les autres, les privilégiés.

Ce matin-là, la radio avait annoncé de nouvelles mesures gouvernementales qui seraient adoptées dès janvier 2026. Parmi celles-ci les écarts salariaux entre les hommes et les femmes seraient rétablis et les postes à responsabilités exclusivement réservés au sexe fort. Le droit de vote, quelle que soit l’élection, serait aussi retiré pour préserver la fragilité morale des individus préalablement concernés. L’accès aux études supérieures serait aussi très encadré et les filières scientifiques, les métiers de la magistrature… seraient exclusivement réservés aux femmes. Enfin, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen serait corrigée et s’appellerait désormais la Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne. Il y serait spécifié que des preuves scientifiques, nombreuses, étaient venues confirmer le fait que la Femme était supérieure à l’homme et que…

*

Février 2026. Le réveil sonna. Dominique se leva, comme tous les matins. La veille, il s’était occupé des enfants et du repassage du linge.

Il déjeuna puis se rendit dans la salle de bains. Il rasa les quelques poils du menton qui se disputaient un emplacement et rendaient son visage disgracieux. Le port de la barbe était devenu obligatoire. Elle devait être convenablement taillée chez tous les hommes. Ainsi, on les repérait mieux ! Avant de quitter la maison, il découvrit une liste sur le petit meuble en bois de l’entrée. Claude, sa femme, y avait écrit quelques achats qu’il devrait faire le soir, avant de rentrer car elle avait envie d’un bon repas bien mitonné. Claude avait pris soin de lui laisser aussi trois billets afin qu’il puisse régler la note.

Dans l’ascenseur, la voisine lui pinça les fesses. Dominique ne fut délivré que par l’arrivée de la cabine au rez-de-chaussée.

La rue, ces regards de désir portés sur lui, le bus, comme toujours bondé, et dans sa main, le petit mot de Claude qu’il avait froissé mais gardé. Une pensée : le lendemain, le surlendemain… Tout serait toujours pareil. Depuis cette guerre mondiale qui avait provoqué la mort de millions d’hommes, depuis l’arrivée au pouvoir de la dictatrice et de toutes les autres dans tant de pays, depuis la nomination de gouvernements constitués de femmes ministres, la revanche, comme elles disaient, se répandait plus vite qu’une pandémie. Les hommes, trop minoritaires, n’avaient plus leur mot à dire. Les femmes dirigeaient le monde politique, le monde religieux et renversaient des siècles d’oppression et d’esclavage.

Une avenue, un pont, un arrêt de bus sur le pont. Des portes qui s’ouvrirent et dans sa main le petit mot qui disait combien sa soumission à Claude était grande. Il y aurait d’autres matins, d’autres mots, d’autres ordres, d’autres obligations… Dominique sentit un crayon oublié dans la poche de son imperméable. Il le sortit et griffonna le papier.

Alors que le chauffeur allait refermer les portes, Dominique bouscula ceux qui le gênaient. Il sauta sur le trottoir. La pluie ruisselait. En moins de deux minutes, il fut trempé. Une voiture s’arrêta à sa hauteur :

— Hé, mon mignon, tu veux que je te dépose quelque part ? Tu es déjà tout mouillé ! Allez quoi !…

Dominique enjamba la barrière et se jeta dans les flots tumultueux sans aucune hésitation. Il disparut en quelques secondes. Il n’y aurait plus de lendemain car pour lui, il l’avait compris, il n’y aurait jamais d’échappatoire, jamais de destination lointaine, jamais de destin. Sur le goudron, un papier mouillé sur lequel on pouvait encore lire :

« Fais les courses. Surtout a… du fromage à raclette et la charcuterie. Je veux du…

……………………………………………………..

Je rentrerai tard ce s… car je sors avec des amies. Prépare le re… pour 21 heures

et puis fais-toi beau ! »

et la réponse qu’il avait eu le temps de griffonner avant de partir :

PLUS JAMAIS !

AUDREY DEGAL


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PARAÎTRE OU DISPARAÎTRE

Chers lectrices et lecteurs me revoici.

Tout d’abord, laissez-moi vous souhaiter une très bonne année 2023. Il n’est pas trop tard, nous pouvons le faire jusqu’au 31 janvier ! Je vous avais promis que j’allais reprendre mes publications de façon plus régulière dès 2023, c’est chose faite aujourd’hui. J’ai tardé en raison de la Covid qui ne m’a pas épargnée et m’a épuisée. Mais tout va bien et je vous présente donc la première histoire de 2023. Elle paraîtra en plusieurs épisodes et pour ne rien manquer je vous invite à vous abonner au site pour rejoindre les 1048 lecteurs fidèles qui ont déjà franchi le pas. Merci à eux ! (les 218 qui apparaissent peut-être sur votre écran ne reprennent que les abonnés par emails. Les 1048 correspondent aux abonnés email, Twitter et Facebook). Il s’agit ici d’une nouvelle à suspense, pas de policier. J’écris actuellement un roman policier et je ne veux pas que nouvelles et romans se parasitent. Pensez aussi à vous procurer mes livres déjà édités notamment les deux derniers « Le Manuscrit venu d’ailleurs » et « Paroles de pierres » dont les lecteurs rencontrés lors des dédicaces ne me disent que du bien tant ils ont apprécié l’originalité de chacune de ces histoires.

Bonne lecture !

PARAÎTRE OU DISPARAÎTRE

            Lorsque son chef déposa une énorme pile de dossiers à traiter sur le côté droit de son bureau déjà trop encombré, Éthan remercia poliment son supérieur hiérarchique mais il n’en pensait pas moins.

            — Voilà de quoi vous amuser un moment ! déclara le patron selon une habitude que tous les employés détestaient.

            Y avait-il de l’ironie ou du sarcasme dans sa réflexion ? Le jeune homme s’en moquait car le problème n’était pas là. Le problème c’était dans la stratification de tâches sans fin, l’accumulation, l’overdose : un dossier puis un autre, puis dix autres, tous urgents, tous particuliers, tous… Il y avait de quoi tomber craquer, devenir migraineux, dépressif. Il y avait de quoi foncer chez son médecin pour hurler « J’en peux plus ! ». Ethan aurait voulu que tout s’arrête. Fini les montagnes de dossiers derrière lesquelles il aurait pu se cacher. Il aurait voulu ne plus avoir à rendre de comptes, rester chez lui, ne plus voir son chef, souffler un peu. Il aurait voulu n’avoir plus à courir après tout : le temps, les repas, les transports… Il n’avait rien à envier à une cocotte-minute prête à exploser sous la pression.

En un mot, il aurait voulu dis-pa-raître.

            Mais Éthan se considérait comme un battant et il résistait au burn-out comme on dit aujourd’hui. Ce jour-là pourtant, il accepta une fois de plus, une fois de trop, le travail supplémentaire qu’on lui confiait. L’entreprise pour laquelle il travaillait exigeait que les cadres soient compétitifs, entreprenants, audacieux tout en prétendant qu’ils s’épanouissaient dans leurs tâches. La responsable des ressources humaines en avait vu défiler dans son bureau des jeunes loups ambitieux qui promettaient, lors des entretiens d’embauche, de se jeter corps et âme dans leur boulot. La performance était la promesse de rester et de signer un CDI, véritable sésame. Le médecin du travail les récupérait en miettes quelques mois plus tard, voire une année car il ne fallait pas longtemps pour que physiquement ou intérieurement ils s’effondrent. Tous gagnaient bien leur vie. Leurs comptes en banque étaient bien garnis mais aucun n’avait assez de temps libre pour en profiter.

            Même si Éthan se revendiquait agnostique, il ne pouvait s’empêcher de prier des entités lambdas susceptibles de l’aider : Vishnou, Le Saint-Esprit, Bouddha et tant d’autres. Après tout c’était un moyen de comme un autre de se convaincre que le lendemain tout irait mieux. Comment s’en sortir autrement ? Mais toutes ses suppliques montaient au ciel où de toute évidence elles s’égaraient.

            Ce rythme effréné, ce ronronnement journalier insidieux auquel il s’était habitué aurait pu perdurer encore un peu. Pourtant, ce mardi 8 mars, il vivait sans le savoir sa dernière journée de stress car tout allait radicalement changer !

*

            Dès sa sortie de l’université, il avait tenté sa chance dans le domaine bancaire, fort de stages qui l’avaient conforté dans son choix de carrière. Un curriculum vitae puis un rendez-vous avec le D.R.H et quelques mois après, il intégrait le prestigieux siège social du L.C.L, rue de la République à Lyon où l’histoire de la banque avait commencé. Il grimpait quotidiennement un escalier de béton prolongé par de très anciennes marches en bois pour arriver au second étage où on l’avait installé. Là, seul dans son immense bureau pourvu de grandes fenêtres ne donnant que sur des façades grises, il travaillait.

            Ses journées de labeur se ressemblaient. Il commençait invariablement par allumer son ordinateur puis passait environ deux heures à consulter sa boîte mail, à répondre aux courriers – dérogeant déjà au programme qu’il s’était fixé – afin d’avancer, de traiter plus vite les affaires en cours. Il était souvent dérangé par les commerciaux qui sollicitaient son avis avant de lui confier leurs dossiers de financement car Éthan était investi de ce pouvoir qui consiste à valider ou à invalider ce que les autres lui soumettaient. Ses collaborateurs redoutaient les « K.O » qu’il prononçait, lesquels réduisaient à néant des jours ou des semaines d’efforts.

            Le matin, il arrivait souvent parmi les premiers, à 7 heures. À midi, il déjeunait dans son bureau pour ne pas perdre la moindre minute et quittait l’antre de la finance à 20 heures. Si ses repas n’étaient pas copieux, son temps de présence l’était.

            — Encore là Éthan ! faisait remarquer Marine du service comptabilité qui le gratifiait systématiquement d’un au revoir lorsqu’elle partait.

            — Oui, des affaires urgentes à traiter. Bonne soirée !

Il ne levait même pas le nez et replongeait dans cette atmosphère feutrée procurée par la lumière chaude qui émanait de la lampe de son bureau, seule éclairée à l’étage aussi tard.

            Sa vie après le boulot n’existait pas et d’ailleurs personne ne m’attendait chez lui.

            Il faisait généralement nuit lorsqu’il se décidait à quitter le travail pour rentrer. Ce soir-là, comme tous les autres soirs, il fit place nette sur son bureau, ferma le capot de son ordinateur et courut pour attraper un métro à la volée.

            Telles les perles d’un collier sale et gris, les rames se succédaient. Il s’y engouffrait, patientait assis car à cette heure-là il y avait de la place – et prenait ensuite un train de banlieue. Une longue marche le guidait ensuite au pied de son immeuble de banlieue.

            Le four à micro-ondes et la cuisine industrielle étaient ses alliés et seul, installé au milieu de son grand canapé, il ingurgitait des aliments méconnaissables, aux parfums flatteurs, riches en sel, en exhausteurs de goût, en graisses saturées et en adjuvants aux codes impénétrables.

            Derrière l’écran, ses seuls compagnons s’agitaient, présentateurs à l’humour forcé ou vulgaire, journalistes qui réduisaient leurs discours à de la propagande gouvernementale croyant berner le téléspectateur… Avantage de ces êtres télévisés : aucun risque de déranger et possibilité de leur couper le sifflet d’une pression sur l’arrêt de la télécommande.

Inconvénient :  absence totale de discussion.

            Sur un rayonnage de son réfrigérateur désertique, Éthan trouva un vestige lacté qu’il avala sans vraiment l’apprécier. Et la soirée s’achevait, conforme aux précédentes, peuplée de vide, conforme aussi à celles qui suivraient. Du moins le croyait-il.

            — Minuit ! fit-il en consultant son téléphone portable sur lequel personne ne l’appelait jamais.

            Il était temps de dormir. Une douche rapide et quelques instants après il s’infiltrait au milieu de draps froissés qu’il n’avait pas pris la peine de secouer depuis des jours. Cela n’avait aucune importance. Il se remémora vaguement sa journée, visualisa ce qu’il devrait prioriser le lendemain et finit par s’endormir, harassé. Dehors, un orage s’annonçait. Par moments, sa chambre était striée par d’éphémères éclairs comme si les flashs d’appareils photos tentaient de capturer les instants exceptionnels d’une célébrité, à son insu.  Mais Éthan était monsieur tout le monde et il n’y avait pas de paparazzis dans sa chambre à coucher. Il n’était qu’un homme ordinaire, tout ce qu’il y avait de plus ordinaire et cet homme ordinaire dormait.

*

            À 5 heures du matin, comme le dîner absorbé était très salé, une soif tenace le réveilla. Il avait tenté de l’ignorer mais sa gorge et sa bouche étaient aussi sèches que ses lèvres. Il s’assit au bord de son lit, les pieds posés sur la couverture qu’il avait repoussée au sol dans son sommeil. Il avait chaud. Finalement, il se leva et, à tâtons, il se dirigea vers le mur de la chambre, franchit la porte ouverte et longea, tel un aveugle, le long couloir au bout duquel il tourna à gauche. Parvenu à la cuisine, il voulut prendre un verre. Impossible d’en trouver un sur l’évier. Il fit alors demi-tour, décidé à allumer la lumière. Mais seul le « clic » émis par la manœuvre de l’interrupteur lui répondit. La pièce restait baignée dans l’obscurité.

            — Ah, c’est vrai, se souvint-il. L’orage ! Les plombs ont dû sauter. Zut !

            Il but directement au robinet, s’essuya les lèvres d’un revers de sa manche de pyjama et s’étonna d’entendre du bruit. Il s’arrêta, fit silence et tendit l’oreille.

            — C’est rien, se dit-il à lui-même comme pour s’en convaincre.

            Il rebroussa donc chemin, évita l’angle de la commode qu’il se promettait chaque jour de déplacer et arriva rapidement jusqu’à son lit. À tâtons, il repéra les bords du matelas puis il se hissa sur les draps redevenus froids, pour s’y envelopper. Là, il voulut rouler sur le côté pour s’installer en chien de fusil mais il heurta quelque chose et cette chose se mit à remuer.

            — Nom de Dieu ! jura-t-il sans s’offusquer de son blasphème. Qu’est-ce que c’est ?

            Et il bondit hors du lit.

            — Mmmh ! fit la forme.

            — Que… Qui est là ? bafouilla Éthan effrayé.

            — Mmmh !

            Éthan scrutait vainement l’obscurité. Les stores automatiques qu’il actionnait machinalement quand il rentrait occultaient l’appartement, le plongeant dans un noir à couper au couteau.  Instinctivement, il fit un bond en arrière, bouscula une chaise qui se renversa entraînant dans sa chute sa serviette et tous les papiers qu’elle contenait. Il s’immobilisa ensuite et tendit les deux bras en avant pour vérifier que personne ne s’approchait. Il ne frôla que le vide.

            — Qui est là, bon sang ! Dégagez de chez moi, tout de suite !

            Il se déplaça sur la gauche, contourna une table de travail, parcourut le chambranle d’une porte de ses doigts et pressa l’interrupteur qu’il sentit.

            Aucune lumière ne jaillit.

            Il se rua nerveusement sur le fil de la lampe posée sur la table. Le léger tremblement nerveux qui s’était invité rendait ses gestes brouillons.  Quand il trouva enfin le bouton, il l’actionna mais seul un « clic » résonna dans la chambre qui restait plongée dans le noir.

            — Merde ! Qu’est-ce que c’est ce délire ? Sortez de mon lit et…

            Une voix masculine qui lui était curieusement familière lui répondit :

            — Je dors bonté divine. Moins de bruit !

— Dégagez ! Je vous ai dit de dégager.  

            La panique venait de monter d’un cran. Éthan s’empara de la lampe qui, à défaut de lui procurer de la lumière serait une arme. D’un geste brusque il la leva en l’air pour arracher la prise et la propulsa violemment en direction de la voix provenant de son lit.

La suite prochainement. A Bientôt. Audrey Degal


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L’ENVIE, SUITE ET FIN

Résumé de l’épisode précédent : deux femmes, Bénédicte et Maryline, sont amies mais la première même si elle est jolie souffre de la comparaison avec la seconde qui excelle dans tous les domaines et la surpasse. Bénédicte aimerait vivre la vie de Maryline. Autour d’un verre elle suggère cette idée ridicule à son amie qui rit mais accepte de prendre sa place. Après tout, c’est impossible. Elles se séparent mais lorsque Bénédicte regagne sa voiture, elle fait un malaise et s’effondre sur le trottoir. 

Un passant accourt et m’aide à me relever.

— Ça va mademoiselle ?

Il sort un mouchoir pour éponger mon front ensanglanté. Comme je suis faible, il propose de me conduire aux urgences ou de me ramener chez moi. Je choisis de lui donner mon adresse. J’espère que je n’aurais pas à le regretter car après tout je ne connais pas cet homme.

Il me demande le code de l’alarme et nous entrons dans mon appartement. Il m’installe sur mon canapé, délicatement, cale un coussin sous ma tête, puis il s’éclipse, comme s’il était chez lui. J’entends la porte du réfrigérateur se refermer et il reparaît, deux verres de jus d’orange frais à la main. Je le remercie et j’en profite pour le regarder. Il est plutôt pas mal.

— Un antalgique peut-être ? propose-t-il.

— Dans l’armoire de la salle de bains.

Quand il revient, il me tend un comprimé de doliprane avant de me prodiguer des soins.

— Ce n’est rien ! dit-il. Comment vous sentez-vous ?

— Ça va, je me remets. Mais vous vous y connaissez ?

— Je suis médecin.

— Ah, je ne pouvais pas mieux tomber.

— Si on peut dire, mais je n’ai rien fait. Le cuir chevelu saigne facilement. N’importe qui aurait pu vous soigner. Vous avez toujours mal à la tête ?

— Non, plus vraiment. Mais j’abuse de votre gentillesse. Vous êtes peut-être pressé !

— Non, répond-il, en plongeant dans mes yeux un regard puissant qui en dit long. Je peux rester si vous voulez !

Au petit matin, pendant qu’il dort encore, je m’enroule dans un drap de bain en sortant de la douche. Mon crâne est encore douloureux et je n’ai pas les idées très claires. Tout me semble étrange. Pendant que nous faisions l’amour tout à l’heure, j’avais l’impression de flotter, de ne pas reconnaître mon lit ni ma chambre mais j’ai été secouée. D’un revers de la main, j’essuie la buée accumulée sur le miroir. Et là, je me regarde comme jamais je ne l’ai fait. J’oriente mon image vers la gauche, vers la droite comme pour vérifier… Mais je n’en ai pas besoin, Nolan qui vient de se lever pour me rejoindre exprime ce qui s’est passé mieux que moi à ma place :

— Bonjour Maryline. Ça a l’air d’aller mieux ce matin.

Eros en personne est appuyé nu contre le chambranle de la porte. Il admire mon corps alors que la serviette qui m’entourait vient de glisser au sol. Il s’approche, se plaque contre moi et m’enlace. Nos visages se frôlent dans le miroir avant que nos corps ne recommencent à s’aimer. Alors qu’il est en moi, mon esprit s’échappe, appelé par une obsession merveilleuse, inimaginable qui pourtant me paraît bien réelle : je suis devenue elle, je l’ai remplacée.

Il me laisse son adresse, son numéro de téléphone et prend le mien. Il me rappellera, c’est certain.

Un café chaud en main, de ma fenêtre, je le regarde s’éloigner. Il m’envoie déjà un SMS : « je n’ai jamais vu une femme si belle. Je crois que je t’aime ! »

Je ne rêve pas. Il fait gris dehors mais ma vie est ensoleillée. Je suis devenue Maryline, je suis chez elle, je m’y sens comme chez moi. Tout semble vrai !

Mon téléphone vibre. Je décroche. C’est elle.

— Je croyais que c’était impossible ! Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Tu regrettes ? Tu es déçue ?

— Non, je suis plutôt perdue. Je suis toi, je suis chez toi, je ne sais pas comment j’y suis arrivée mais je me sens bien. Pour le reste, je n’y comprends rien.

— Moi non plus mais c’est arrivé.

— Et toi, qu’est-ce que ça te fait d’être Maryline ?

— Comme toi, je suis bien, je dirais même extrêmement bien et surtout heureuse.

— Parce que tu ne l’étais pas avant ?

— Si, mais moins.

— Moi, être Bénédicte, ça me convient. Je me sens plus forte, épanouie ! Mais tu crois que ça va durer ?

— Franchement, j’en sais rien. Mais c’est toi-même qui a suggéré hier que ce soit définitif.

— C’est vrai. Bon, je te laisse. Je vais me plonger dans tes dossiers. Enfin dans mes dossiers. On se rappelle !

J’aurais dû me demander pourquoi elle cet échange lui convenait mais je ne l’ai pas fait. J’aurais dû trouver étrange qu’elle soit heureuse d’être moi alors que je l’ai toujours enviée mais je n’y ai pas songé. Je suis retournée dans la salle de bains pour m’enivrer de mon image, de ce corps sublime. Comment aurais-je pu deviner ce que cachait la face polie du miroir ?

*

            Seule l’issue de la vie est incertaine. J’ai revu Nolan et me suis nourrie de bonheur le lendemain et les jours suivants. J’ai vécu un rêve, éveillée. Les week-ends improvisés à la montagne, les périples à moto, l’aventure sur son voilier, seule avec lui, et plus que tout l’intensité d’être aimée.

Lorsque je plaide dans des affaires délicates, je suis d’une redoutable efficacité. Tout me paraît plus clair qu’avant, je vais à l’essentiel, on me réclame, on me paye cher, je gagne mes procès. Je suis celle que j’ai toujours voulu être.

Je rencontre parfois Bénédicte étrangement heureuse dans une vie sympathique mais plus simple. Comment ne regrette-t-elle pas ce qu’elle était ? Puis nos rendez-vous se font plus rares jusqu’au jour où…

Un taxi me mène à la clinique car je ne me sens pas très bien. Cela fait des semaines que je suis fatiguée. J’ai l’estomac en vrac, des nausées. J’ai peur. Et si tout s’arrêtait… Si je redevenais celle que j’étais que je finalement je détestais. Je perdrais Nolan…

Je paye la course, je claque la portière, les doubles portes automatiques s’ouvrent devant moi, m’avalent.

La secrétaire me reconnaît. Elle prévient aussitôt Nolan qui termine sa consultation avant de m’examiner.

— Tu es peut-être enceinte ! Calme-toi !

— J’ai fait trois tests de grossesse. Tous négatifs !

Il me fait un prélèvement de sang pour en avoir le cœur net. Nous attendons. Négatif !

— Qu’est-ce que j’ai ?

— Il faut approfondir !

Une IRM, un scanner, de nouvelles analyses et son diagnostic tombe, inimaginable, comme le couperet d’une guillotine : cancer, métastases, plus que quelques mois à vivre.

Il pleure ! Je m’effondre ! Il n’y a rien à tenter.

*

            Je suis assise à une table en terrasse, rue de la Longe, au café Fred. Le soleil brille comme jamais. Je l’attends. Je la vois arriver. Bizarre, elle est vêtue du petit tailleur Chanel que je portais ce fameux jour, quand je lui ai parlé de l’échange. Tous les regards sont braqués sur moi. Je suis très pâle mais si belle. À croire que la maladie m’a momentanément sublimée. Elle ne s’assoit même pas, m’embrasse froidement.

— Qu’est-ce que tu veux ? attaque-t-elle.

— Je veux redevenir Bénédicte !

— Pourquoi ?

— Je crois que tu le sais !

— On ne peut pas faire marche arrière, dit-elle froidement.

Comme j’ai été bête !

— Tu le savais, tu aurais dû me le dire, j’aurais pu me soigner, j’aurais pu…

Elle m’interrompt :

— Rappelle-toi : je t’ai dit qu’on perd parfois au change. Maintenant, oublie-moi !

Elle tourne les talons, s’éloigne et me raye déjà de sa vie. Elle m’efface encore une fois.

Jusqu’aux derniers moments, Nolan me comble. Je m’éteins doucement. La vie me quitte.

*

            Quelqu’un me secoue légèrement l’épaule. Je suis assise à une table au café Fred, rue de la Longe.

— Bénédicte ! C’est moi, Maryline. Tu es sûre que ça va ? me dit-elle, penchée au-dessus de mon visage.

— Oh oui, ça va très bien. J’étais simplement perdue dans mes pensées ! En t’attendant j’imaginais des tas de choses.

— Et à quoi pensais-tu pour être si absorbée ?

— À rien et je ne veux pas parler de mon absence.

— OK. Pour savoir ce qui t’est arrivé il faudrait donc qu’on échange nos vies et que…

Je l’interromps comme apeurée :

— Non, surtout pas ! Restons-nous-mêmes !

 

FIN

Mon 4e roman, LE MANUSCRIT VENU D’AILLEURS sort enfin. Oui, j’ai tardé mais les bonnes choses se font généralement attendre, n’est-ce pas. Il est entre les mains de l’éditeurs qui finalise. je ne manquerai pas de vous indiquer sa date de disponibilité chez les libraires mais le référencement sur les plateformes de vente prend parfois du temps. Un peu de patience encore. 

Rappel : les titres et résumés de mes 3 premiers livres, LE LIEN, DESTINATIONS  ETRANGES, LA MURAILLE DES ÂMES, se trouvent en page d’accueil ou dans « mes thrillers publiés ». N’hésitez pas à vous les procurer en les commandant en librairie. Vous ne serez pas déçus, le suspense y règne en maître !

Prochain article : un film que j’ai adoré et un livre pas mal du tout ! Soyez au rendez-vous et partagez cet article. Vous pouvez cliquer sur « j’aime », laisser un commentaire, en parler à vos amis. Le bouche à oreille, c’est vous ! Mon succès dépend de vous et je vous en remercie. 

AUDREY DEGAL

 


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L’ENVIE

L’ENVIE

 

J’ai toujours aimé le prénom de mon grand-père : Emmanuel. C’est moderne, avec un côté séducteur. Ma grand-mère s’appelait Marie. Joli prénom, divin, oserai-je dire !

Mais moi je m’appelle Bénédicte. Je déteste, vous vous en doutez ! Ça fait banal, ça fait vieux, ça fait… enfin, j’ai toujours exécré ce prénom. Pourtant j’ai fait avec, du moins pendant un certain temps. N’allez pas vous imaginer que j’ai changé de prénom en chemin ! Non, ce serait trop simple. Quel manque d’originalité ! Non, vous dis-je. J’ai eu une autre idée, un autre plan qui allait changer mon destin, qui l’a changé mais pas comme je l’imaginais !

 

            Je devais avoir deux ans. J’étais assise dans un bac à sable et mon seau a rencontré Maryline. Ou plutôt c’est elle qui s’en est emparé. Elle a aussi pris ma pelle et a fait des pâtés, de beaux pâtés, parfaitement moulés, mieux que les miens.

            Nos mamans s’appréciaient et nous nous sommes revues régulièrement. Maryline était gentille et nous sommes devenues comme deux sœurs. Elle partageait ses jouets avec moi, ses goûters avec moi, elle se privait même parfois, juste pour moi. Déjà, elle avait le cœur sur la main.

            Sur les bancs de l’école – enfin, il s’agit de chaises maintenant – nous étions assises à côté l’une de l’autre. Toujours ensemble aux récréations, mêmes jeux, mêmes copains mais pour célébrer les anniversaires c’était elle qu’on invitait la première. Moi aussi j’avais droit à mon carton mais parce que j’étais la meilleure amie de Maryline. Pas parce que j’étais moi.

            Au lycée rien n’a pas changé, pas plus qu’à la faculté et aujourd’hui, à 30 ans et des poussières ni elle ni moi ne sommes mariées. Pas le temps ! Nous sommes avocates. Je ne vous ferai pas l’offense de vous dire laquelle a le plus brillé à l’examen du barreau !

            Nous n’avons jamais habité très loin l’une de l’autre et quand nous nous donnions rendez-vous, j’arrivais systématiquement la première, juste pour voir approcher sa longue silhouette fendant l’air comme s’il la caressait. Elle avançait d’un pas à la fois assuré et nonchalant, accompagné d’un savant balancement des hanches qui la rendait encore plus désirable. Je l’étais moi aussi mais pas autant.

            Quand nous sortions le soir, ses mini-jupes mettaient en valeur ses jambes interminables, sculptées par la pratique du sport et tous les garçons la dévoraient du regard. Moi aussi, mais moins. Elle m’effaçait, comme si je n’étais qu’une esquisse sur la planche d’un dessinateur de B.D. Une gomme entre ses doigts et mes formes les plus voluptueuses disparaissaient tandis que de l’autre main il accentuait les siennes, à l’excès. Même Lara Croft aurait nourri des complexes à côté de Maryline, Maryline la femme bien réelle, Maryline qui jouait avec dextérité de l’adjectif « parfaite ».

            J’aurais pu être jalouse, vous vous en doutez ! Avouez que j’avais l’embarras du choix quant aux raisons. Eh bien non, cela ne m’a jamais effleurée. Je l’ai toujours trouvée belle, bien plus belle que moi, intelligente, bien plus intelligente que moi, brillante, bien plus brillante que moi jusqu’au moment où, sans me l’expliquer, je me suis sentie meurtrie, déchirée, dépossédée de moi-même.

            J’ai refusé de la voir pendant des jours, des semaines, des mois. Elle ne comprenait pas pourquoi, ni ce qui se passait. Comment lui dire que je souffrais de la voir si parfaite ? Oui, moi aussi je suis belle ! Oui, j’ai un QI au-dessus de la moyenne ! Non, je n’ai pas à me plaindre. Et pourtant ! Je suffoquais sous sa supériorité, sous sa beauté, sous elle.

            Alors comme on prend un train, un avion pour disparaître, pour tourner une page qui est restée trop longtemps figée, je me suis engouffrée dans une brèche et quelle brèche ! Un abîme insondable, l’antre d’un univers dont on peut ne jamais revenir.

*

            — Maryline, c’est Bénédicte !

            — Bénédicte ! Qu’est-ce qui t’est arrivé ?

            — Rien. On peut se voir ?

            — Évidemment. Mais avant promets-moi que tu ne me referas jamais une peur pareille. Je me suis fait un sang d’encre !

— J’avais simplement besoin de couper, de faire le point mais je vais bien !

            — Bon, tant mieux. Ce serait bien qu’on se voie pour en parler. Dis-moi où et quand, je m’arrangerai. Je suis tellement contente de t’avoir au téléphone !

            — Dans une heure si tu veux, rue de la Longe, au café Fred. J’ai quelque chose d’important à te dire.

            — J’y serai. À tout à l’heure. Bisous.

            Bien sûr j’arrive avant elle. Elle approche. Elle est vêtue d’un jean et d’un tee-shirt banal et pourtant elle ressemble à un top-modèle en plus charnel. Encore une fois, elle rayonne. Moi, je porte un petit tailleur cintré de la marque Chanel qui, c’est vrai, me met en valeur. Enfin, ce serait le cas si elle n’était pas à mes côtés.

            Elle se penche vers moi pour m’embrasser et aussitôt elle capte tous les regards. À cet instant précis, je n’existe plus, je disparais. Un garçon prend la commande. La sienne d’abord, la mienne après et dès qu’il s’éloigne elle me dit :

            — Si tu savais ! Comme tu ne répondais plus, je me suis fait plein de scénarios.

            Elle croise, décroise ses jambes, passe sa main dans ses longs cheveux ondulés. Je me demande si elle n’est pas encore plus belle que la dernière fois. Je lui dis qu’on parlera plus tard de mon absence, que j’ai quelque chose d’important à lui demander. Elle n’insiste pas, me regarde droit dans les yeux et ajoute :

            — Pas de problème !

            — Ce que j’ai à te dire est particulier, tu sais !

            Elle fronce les sourcils mais même cette expression la sublime. Je me lance. Je dois le lui demander, je suis venue pour ça.

            — Si tu pouvais devenir moi et que moi je pouvais prendre ta place, tu accepterais ?

            Elle sourit, amusée. Elle ne s’attendait probablement à ce que je lui dise cela.

            — Oui, on est toutes les deux avocates même si tu gagnes un peu moins que moi, ironise-t-elle.

            — Je ne parle pas de ça ! Si je pouvais me glisser dans ta peau, vivre ta vie, être toi tandis que tu vivrais la mienne…

            — Ah, je comprends. Mais c’est impossible !

            Elle rit, à la fois sincère et perplexe. J’insiste.

            — Machiavel a dit : « Rien n’est impossible à qui veut fermement. » Alors, tu accepterais ?

            — Machiavel c’était en 1515 et ceci ne peut pas arriver. En plus, je ne vois pas pourquoi tu voudrais changer ta vie pour la mienne ! On sait ce que l’on perd mais pas toujours ce que l’on gagne ! Je trouve que tu es bizarre.

            — Drôle d’idée ou pas, c’est oui ou c’est non ?

            Elle réfléchit et finit par dire :

            — Oui, pourquoi pas mais je ne suis pas sûre que tu gagnerais au change.

            Le garçon dépose son verre de whisky sur la table, devant elle, avec un biscuit, un carré de chocolat noir à 90 % et une petite serviette. Il laisse pour moi une vodka orange, sans rien d’autre. Je crois qu’il a oublié l’accompagnement. Ah si, il me tend quelque chose : la note. Je ne dis rien. J’ai l’habitude.

            Maryline ne s’est pas aperçue de la joie qui s’est emparée de moi quand elle a dit oui. J’ai vaguement souri, j’ai prié intérieurement mais elle ne peut pas le savoir. Lorsque nous nous sommes quittées, elle a ajouté :

            — Et ce serait pour toujours bien sûr !

            C’est curieux qu’elle en ait reparlé ! Elle m’a embrassée avec la promesse de me revoir très vite puis elle a disparu dans son coupé bleu avant de tourner à l’angle de la rue en faisant légèrement crisser ses pneus sur le bitume.

            Je repense à tout ça : et si c’était possible ! C’est ridicule, inutile de me torturer. Je sors un billet que je pose sur la table, je me lève et je pars sans attendre la monnaie.

            Je cherche ma voiture des yeux. Elle n’est nulle part. Pourtant je suis certaine de m’être garée devant cet hôtel dont l’enseigne abimée clignote. Je me rappelle aussi l’employé qui fumait sur le pas de la porte, enfin je crois. Ou alors c’était ailleurs. Mon esprit se brouille, ma tête tourne, je crois que je vais tomber, je chancelle et je finis par m’effondrer sur le trottoir.

 

La suite de cette nouvelle à suspense très bientôt. En attendant je vous prépare aussi quelques résumés des nombreux livres que j’ai lu et certains étaient passionnants. 

N’hésitez pas non plus à partager cet article et ce site et à lire mes romans déjà publiés (voir en page d’accueil) car le prochain, LE MANUSCRIT VENU D’AILLEURS ARRIVE très bientôt. Si vous êtes abonnés à ce site vous en serez informés. Avant sa sortie, je vous glisserai les premières pages, celles du premier chapitre, qui ne manqueront pas de vous intéresser. 

Merci de votre fidélité.

PASSEZ UN TRES BEL ETE.

AUDREY DEGAL

 


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LA DEMOISELLE INACHEVEE, 1ère partie

La Demoiselle inachevée

— Joyeux anniversaire, joyeux anniversaire, joyeux anniversaire Mathilde, joyeux anniversaire !

Dès les dernières notes fredonnées, elle avait soufflé les bougies érigées comme des tourelles sur un château de la Renaissance. Les trente flèches dressées fièrement vers le plafond de la salle louée pour l’occasion s’étaient éteintes au même moment et on avait rallumé les lumières pour apporter les cadeaux.

Mathilde souriait. Elle ne s’attendait pas à tant d’attention de la part de ses amis surtout depuis… Non ! Elle refusait d’y penser. C’était un jour de joie à savourer auprès de ceux qui la chérissaient.

Devant elle, des montagnes de paquets colorés, des grands, des petits. Elle s’en approcha et releva les pans de sa robe de cocktail pour mieux avancer. Le sol était glissant, ses talons trop hauts et elle avait l’impression de marcher sur des œufs.

— Je ne sais par lequel commencer, lança-t-elle tandis que tous les regards se braquaient sur sa personne.

— Prends n’importe lequel ! suggéra Noé.

La jeune femme en souleva un dans ses mains. Il paraissait léger. Elle en soupesa un second. Il aurait rivalisé avec une plume. Elle se fraya un passage parmi les paquets empilés pour en attraper un autre, bien plus gros. Son poids était infime.

— À quoi est-ce que vous jouez ? Je parie qu’il y a anguille sous roche !

— Et tu vas nous la cuisiner ! renchérit Denis selon son habitude.

Mathilde se doutait que cette mise en scène cachait un stratagème élaboré. Elle soupesa encore quelques paquets. Ils paraissaient tout aussi vides. Doucement, elle se mit à les écarter et, au bout de quelques minutes, elle repéra une minuscule boîte qui attendait, docilement, sous une cloche transparente. Elle s’en empara cérémonieusement comme d’un objet mystique. Elle l’ouvrit et sortit un papier plié, déposé dans un écrin de velours bordeaux. Elle le déplia et lut :

« Mathilde Delacour, à ce jour, vous êtes l’heureuse propriétaire de l’annexe située 12 place de la République où vous pourrez ouvrir votre pâtisserie chocolaterie ».

Émue aux larmes, elle faillit vaciller mais se surprit à sourire à ceux qui l’entouraient et qui lui offraient ce local.

— Le gâteau ! réclamèrent les convives à l’unisson.

 Mathilde remercia ses amis puis, d’un revers de la main, elle essuya les perles d’eau salée qui glissaient le long de ses joues. Elle prit le couteau et la pelle qu’on lui tendait et découpa précautionneusement la pièce montée.

 Elle avait toujours été d’une gourmandise absolue et tout en s’interrogeant à propos des cadeaux, elle n’avait pu s’empêcher de dévorer des yeux ce dessert qui l’attendait. Ses proches l’avaient choisi en fonction de son goût immodéré pour le chocolat, la ganache, les macarons, les calissons et le nougat. Ils voulaient la combler. Elle en avait besoin. Tous le savaient. Elle avait servi les autres et s’était servie, resservie, copieusement, trop peut-être. Il était cinq heures du matin quand Noé la raccompagna chez elle, dans sa grande maison vide.

— Des projets pour demain ? lui demanda-t-il.

— Pour l’instant, prendre un bon bain et dormir. Le reste, je verrai après.

 La voiture de sport l’abandonna sur le perron, fit demi-tour sur le gravier de la cour intérieure et disparut dans la nuit.

 Dix minutes plus tard, Mathilde se posta devant sa chaîne hi-fi pour la programmer. Si elle appréciait à l’excès la bonne chair, la jeune femme était aussi friande de musique. Des mélodies classiques en passant par le rock, elle aimait tout. Il était impensable pour elle d’entendre un air sans se le procurer aussitôt. Elle ne comptait plus ses soirées passées dans les auditoriums à se délecter des plus célèbres symphonies ni celles consacrées à scruter la toile pour dénicher le dernier concert des groupes qu’elle adorait. De Rome en Italie en passant par Reykjavik en Islande, Oslo en Norvège ou encore Los Angeles aux États-Unis, elle voulait s’imprégner, jusque dans ses gênes, de ces ambiances dont elle raffolait, de ces notes suaves, revigorantes et exceptionnelles qui flattaient son esprit autant que le chocolat son palais. Dans la vie, Mathilde se régalait de tout !

 Et cela se voyait. Elle avait fait installer son jacuzzi dans une pièce totalement dédiée à la détente. Sur les murs, des miroirs, témoins muets, lui donnaient l’impression qu’elle était entourée du monde qui lui manquait. Mais ce n’était pas le seul message silencieux qu’ils délivraient. Incapables de mentir, lorsqu’elle s’y reflétait, ils lui assénaient toujours le même leitmotiv : « gourmande que tu es ! Tu as encore grossi ! ».

 Ce soir-là, plus encore que les autres, ces surfaces froides et insensibles ne cessaient de lui répéter qu’elle avait trop profité de ce copieux repas comme des précédents. Ses joues chantaient sa gourmandise. Ses épaules moelleuses racontaient la richesse des entrées qu’elle avait appréciées. Sa taille lui répétait que la sauce forestière qui accompagnait la viande était une réussite tandis que ses hanches, pourvues de poignées d’amour inutilisées, fredonnaient une litanie faite de magrets de canards, de pommes de terre rissolées et de délicates bouchées au foie gras. Enfin, ses cuisses rondes grignotées par des îlots de cellulite étaient à elles seules un hommage aux métiers de bouche, à leur savoir-faire inépuisable et à leurs secrets.

 Mathilde prit un des objets qui reposait, parmi d’autres, sur les rebords du SPA et le lança violemment en direction des miroirs. Plusieurs se brisèrent, démultipliant désormais au sol sa silhouette qui s’y reflétait désespérément.

 — Je vous hais ! lança Mathilde.

 Je me hais ! pensa-t-elle, le regard mauvais.

Qu’y pouvait-elle ? À la tête de la plus prestigieuse table de la ville, elle se donnait corps et âme à ce qui se mangeait. Et ce soir-là, ses proches venaient de lui offrir une extension de son activité.

Elle avait menti en prétendant qu’elle ne pouvait se l’offrir, prétextant qu’il lui manquait toujours quelques deniers, qu’elle avait fait de mauvais placements en bourse… En fait, elle tentait de résister. Et voilà que ceux qui l’avaient toujours soutenue, lui apportaient sur un plateau l’annexe tant espérée, l’annexe tant redoutée. Ils avaient probablement emprunté pour elle. Ils voulaient la combler, lui permettre d’oublier, lui ouvrir de nouvelles perspectives…

  Plongée dans le bain chaud, dont les bulles masquaient son corps, elle s’imaginait concoctant ses plus prodigieux entremets : son 2000-feuilles souvent copié, jamais égalé, son Absolu citron meringué qui lui avait permis d’être remarquée, sa Banquise au caramel et beurre salé qui l’avait consacrée… Pour réussir, pour innover, pour créer il lui fallait impérativement être gourmande. Et elle l’était. Seul un « hélas » était venu s’ajouter, lancinant, impoli, agressif mais tu par nécessité.

 Un lit immense l’accueillit finalement au petit matin. Elle s’y réfugia, enveloppée dans son peignoir encore humide qu’elle avait refusé de quitter. Le visage poupin immergé dans son oreiller de soie, elle avait pleuré avant de sombrer dans des rêves sombres et peut-être prémonitoires. Elle se voyait à la tête de sa nouvelle enseigne « Mathilde Delacour, pâtissier-chocolatier », rivalisant avec les plus grands : Fauchon, Peltier ou Larher. En devanture, une queue sans fin de gourmands, jamais rassasiés, tenait davantage du boa constrictor. Le serpent, crocs sortis, voulait l’avaler. Puis cette vision cauchemardesque déboucha sur une nouvelle, encore plus angoissante. Les clients, qui entraient dans sa pâtisserie, étaient des gloutons qui se goinfraient de façon anarchique et n’appréciaient rien. Comme ils souffraient d’agueusie, ils saccageaient sa boutique et avant de partir, ils l’obligeaient à finir leurs restes. Aucune trace de leur passage ne devait subsister. Elle se mettait ensuite à grossir et à gonfler à tel point qu’elle était obligée de sortir. Une fois dehors, elle s’envolait, comme un ballon de baudruche rempli d’hélium et finissait par éclater.

Elle se réveilla en sueur, persuadée que ces songes étaient des présages et qu’ils contenaient implicitement des conseils avisés : elle devait maîtriser sa gourmandise ! Facile à dire mais difficile à appliquer !

A suivre…

Merci pour votre fidélité. 

Vous trouverez en page d’accueil toutes les références de mes livres que vous pouvez vous procurer en ebook ou en livre papier. 

Audrey Degal


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LA DERNIERE COURSE

La Dernière course.

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            Les motos tournaient depuis des heures sur le circuit d’Australie, rebaptisé depuis longtemps Phillip Island War II. Vingt neuf pilotes s’étaient positionnés sur la grille de départ mais en piste, il n’en restait plus que douze qui se battaient encore pour le titre tant espéré de champion du monde de moto GP. Roue dans roue, les engins se défiaient, chacun voulant imposer sa loi aux autres en les dépassant, en freinant le plus tard possible avant les courbes, en se plaçant en aspiration derrière un adversaire avant de le dévorer. Les sliders, apposés aux combinaisons de cuir, frottaient le bitume au niveau des genoux. Parfois même, les coudes embrassaient l’asphalte ou les vibreurs quand ce n’était pas les casques, pour une fraction de seconde au cours de laquelle l’équilibre ne tenait qu’à un fil. L’extrémité des bottes étaient pourvues de pointes acérées et les gants cloutés.

            Parmi celles qui avaient dû rentrer aux paddocks, rares étaient les motos qui tenaient encore debout. Les carénages, les selles, portaient en eux les stigmates de cette compétition de haut niveau qui s’exprimait de façon plus acharnée que jamais. Parfois même, les machines arrivaient aux stands la tête basse, les entrailles pantelantes, presque entièrement brisées : amortisseurs détruits, échappements traînant lamentablement sur le bitume comme la traîne d’une mariée en fuite, boîtiers d’injection explosés, étriers de freins rompus tombant sur des pneus lacérés et derrière tout cela, d’épaisses traces d’huile témoignaient de batailles âprement et virilement menées.

            La course ne tarderait pas à s’achever. Au loin, on entendrait ensuite les hymnes nationaux qui résonneraient pour célébrer la victoire des trois premiers pilotes. Partout, l’effervescence serait à son comble et la police sur les dents, afin de limiter les débordements désormais coutumiers ou les règlements de compte de supporters qui s’estimeraient lésés. Il y aurait des blessés, comme à chaque fois. Il en était ainsi sur tous les continents et sur tous les circuits. Il y aurait aussi des morts, victimes collatérales auxquelles les autorités s’étaient progressivement et volontairement habituées puisque la rentabilité était devenue prodigieuse.

            – Bon Dieu, dans quel état elle est celle-là, dit le chef mécanicien de l’équipe Ducati, quelque peu consterné.

            Les mains sur les hanches, il constatait les dégâts. C’était une situation qu’il connaissait déjà puisqu’elle se répétait inlassablement de grand prix en grand prix. Mais il éprouvait de plus en plus de difficulté à l’admettre.

            – Il va nous falloir au moins deux jours de boulot ! C’est un vrai massacre !

            – Au moins deux jours, tu as raison, confirma un collègue. Regarde, même le réservoir a dégusté. Il fuit.

            – C’est fou ! Pourtant, Dovi2 n’est même pas tombé.

            – Non, mais quelle guerre il a livrée contre les deux autres pilotes.

            – Il a résisté aux assauts comme jamais. J’ai vraiment tremblé pour lui car j’ai cru, plus d’une fois, qu’il allait voir le goudron de près.

            – Oui, moi aussi. Les autres ne lui ont fait aucun cadeau !

            – Hélas, c’est comme ça maintenant, je ne m’y habitue vraiment pas. Deux pilotes dis-tu ? Il m’a semblé en compter trois contre lui par moments. Comment pouvait-il s’en sortir dans ces conditions extrêmes hein ? Vise un peu la moto. Plus rien ne tient, plus rien du tout !

            – Quand la Honda et la Yamaha l’ont encadré à droite et à gauche en le prenant en sandwich, j’ai vraiment cru qu’il allait méchamment chuter.

            – Oui, c’était vraiment chaud. Ils ne l’ont pas épargné. Mais il est comme son père ce petit. Il est capable de se faufiler dans un trou de souris et il est toujours à l’attaque. Il ne lâche rien.

            – Mais il ne gagnera pas. Il a dû rentrer. Avec une moto dans cet état, il ne pouvait pas continuer. Encore une fois ce sont les arrangements et les coalitions qui l’emporteront. Tu verras. Attendons quelques tours et je te parie que ce seront les mêmes que d’habitude qui lèveront les bras au ciel en hurlant : « J’ai gagné ! ». Tu parles de vainqueurs ! Des conspirateurs oui… Je regrette vraiment les courses d’avant. Mais que veux-tu… le nouveau règlement de la Dorna est en place et on ne peut plus rien dire.

            – Cesse de te lamenter, ça ne fait pas avancer les choses. La situation est ce qu’elle est. On n’a pas d’autre choix que de l’accepter. Au travail ! Il faut remettre la moto sur ses roues pour demain. Il y aura des essais. Quelque part on a de la chance : le pilote tient encore debout et ce n’est pas le cas dans toutes les écuries.

            L’unité médicale mobile ne désemplissait jamais. Il restait encore douze tours de piste à accomplir et l’on déplorait deux blessés légers, sept dans un état grave, un dont le pronostic vital était engagé et un mort qui avait disputé ce jour-là sa première course en moto GP. Une jeunesse fauchée ! Certes les hélicoptères avaient évacué les plus touchés vers les hôpitaux spécialisés proches mais on ne répare pas toujours les corps disloqués.

            Dans les tribunes, les spectateurs vibraient au rythme des moteurs, fixant les écrans géants visibles de toutes parts diffusant les affrontements qui se déroulaient hors de leur vue. Beaucoup applaudirent lorsque le numéro 74 sortit son bras dans le virage 9, heurtant la poignée de frein du 50 qui ne parvint pas à asseoir sa moto pour virer. La glissade inéluctable accompagnée de sa gerbe d’étincelles s’acheva contre un mur de publicité électronique vantant les propriétés exceptionnelles d’un nouveau casque proposé sur le marché. L’impact fut effroyable et ne laissa aucune chance au pilote. L’écran s’éteignit aussitôt, ne résistant pas davantage mais il serait vite réparé. Parfois dans le monde, il vaut mieux être une chose !

            Assis sur chaise qui lui était dédiée, Led comme on l’appelait, suivait la course de très près. Chaque dépassement accélérait son pouls, chaque courbe mal négociée lui faisait froncer les sourcils, chaque pilote tombé, incapable de se relever lui retournait le cœur. Deux de ses poulains, qu’il avait formés, tournaient encore sur la piste. Un autre avait été évacué suite à d’importantes blessures.

            – Alors Led, les nouvelles de Snow sont bonnes ? lui demanda un des membres de son équipe.

            Led venait d’enfoncer son téléphone portable profondément dans sa poche. Il frotta ses deux mains comme pour les réchauffer, les passa ensuite dans sa chevelure jadis blonde et frotta ses yeux clairs avant de répondre :

            – Etat stationnaire mais il n’est pas encore tiré d’affaire. Combien vont encore tomber ? Combien seront sacrifiés sur l’autel des bénéfices, de l’audimat, de la publicité, de… J’en ai assez. Ces courses ne ressemblent plus à rien !

            Il résista à l’envie de jeter son téléphone par terre. Chaque fois qu’il décrochait pour répondre à un appel, il craignait de mauvaises nouvelles. Il se leva, fit quelques pas et se plongea son regard dans le bleu de la mer impassible. Quelques mouettes planaient et il se souvint soudain de ce jour où l’une d’entre elles s’était invitée dans une course, manquant de heurter le pilote qui l’avait évitée d’un mouvement de tête. Il resta là de longues minutes à penser.

            Soudain, un son extraordinaire, pareil à celui d’une corne de brume, retentit, annonçant qu’il ne restait plus que deux tours et que les pilotes devaient rentrer aux paddocks. Il leur fallait compléter les réservoirs en essence afin que chacun pût donner le maximum dans les derniers tours de roues. Un changement de pilote était aussi possible et c’était une option que certaines équipes prenaient afin d’envoyer sur la piste un homme plus hargneux mais surtout plus frais. C’était l’ultime moment que tous attendaient, issu du nouveau règlement, celui aussi de tous les dangers.

– Eh, Led, comment m’as-tu trouvé ? questionna le Warrior qui venait de laisser sa moto entre les mains des mécaniciens. J’ai accéléré comme jamais !

– Oui, c’était très bien ! Continue ainsi.

– Tu vois, avec moi, tu mises sur l’avenir car un jour je gagnerai, j’en suis sûr, ajouta le jeune pilote pourtant exténué.

– Je n’en doute pas. Mais reste prudent. Tu ne dois pas t’emballer ! Tu n’es pas seul en piste.

– Je sais Led, je sais, mais aujourd’hui je sens que je vais gagner. Je le veux et je te promets que je vais tout donner, tout !

– Que veux-tu dire ? demanda-t-il inquiet.

Son jeune poulain vint s’accroupir auprès de lui.

– Tu vois, j’ai pensé qu’aujourd’hui, la sagesse, j’allais la ranger même si c’est ce que tu m’as appris. Tous les coups sont permis et moi, je reste toujours tranquille alors que franchement Led, je n’ai qu’une envie : dégommer, pousser tous mes adversaires,  leur couper leur trajectoire et les envoyer dans le gravier. Je veux et je vais gagner. C’est mon jour, je le sens !

– Et tu crois vraiment que cela correspond à ce que je t’ai enseigné ?

– Non, répondit le Warrior embarrassé. Mais si je ne joue pas le même jeu que les autres, jamais tu entends Led, jamais je ne remporterai un grand prix, jamais je ne serai classé en moto GP. Je dois m’aligner.

            – T’aligner ? Tu parles d’agir comme eux ?

            – Oui !

            – Et comment t’y prendras-tu ? Explique-moi !

            – Je dois moi aussi trouver des associés, comme les autres.

            – Des associés dis-tu !

            – Oui, exactement.

            – Mais tu enfourches ta moto dans dix minutes, tout au plus. Où vas-tu trouver des associés en si peu de temps ?

            – Eh bien Led, je ne te l’ai pas dit mais…

            Le jeune pilote paraissait embarrassé. Il poursuivit :

            – J’ai déjà rencontré d’autres pilotes. On en a parlé et on est tombé d’accord. Il ne reste plus qu’à concrétiser.

            Led ouvrit de grands yeux. Il s’approcha au plus près du jeune pilote et, les yeux dans les yeux lui demanda :

            – Concrétiser dis-tu ? Je t’écoute, précise un peu ta pensée. Que veut dire concrétiser Warrior ?

            – Tu le sais bien Led. Tu as déjà vu ce qui s’est passé. C’est comme ça depuis que je fais de la moto, depuis que je suis tout petit. C’est la course Led !

            – La course, répondit-il désabusé. La course ! Et tu oses appeler cela, cette boucherie une course ?

            – Je veux juste lutter à armes égales avec les autres. C’est tout ! Ce ne sera pas bien méchant, je t’assure. Avec Steve et Antonin, on veut juste entourer les vainqueurs et leur bloquer la route. A tour de rôle, on en met un en difficulté ce qui permet aux autres de passer et de gagner. Pour cette course, ils vont m’aider et à la prochaine, ce sera leur tour, etc. Tu vois, on veut juste les gêner…

            – Il vaut mieux être sourd que d’entendre cela !

            – Tu te trompes Led. En général, on dit plutôt le contraire, qu’il vaut mieux entendre ça que d’être sourd.

            – Non, tu as très bien compris et je ne me suis pas trompé. J’aurais préféré être sourd que de t’entendre, toi à qui j’ai tout appris, dire de pareilles horreurs. Mais te rends-tu compte que ce que tu suggères aura les mêmes conséquences que de pousser délibérément un pilote ou de l’empêcher de freiner ou… La vitesse Warrior, tu oublies la vitesse ! A 390 kilomètres heure, un cheveu te fait chuter, une brise de vent te déstabilise et la moindre erreur de trajectoire est souvent fatale. Combien d’hélicoptères as-tu entendu décoller aujourd’hui hein ? Jusqu’à présent il ne t’est rien arrivé parce que tu ne représentais pas un danger potentiel pour les autres et le titre, mais en t’alliant à d’autres pour gagner, tu vas devenir une cible et les cibles, ces requins font tout pour les éliminer. Je ne veux pas que tu prennes de tels risques. Réfléchis un peu. Si tu gagnes, seras-tu un meilleur pilote, le meilleur pilote ? Non ! Tu seras simplement celui que les autres auront le mieux aidé, celui qui aura sacrifié des vies, des pilotes, celui qui aura eu de la chance. Mais attention petit, la chance est éphémère, la chance tourne et demain ils t’attendront et te le feront chèrement payer.

            – Mais…

            – Arrête ! Ce n’est pas ce que je t’ai appris. Je ne t’ai pas mis un guidon entre les mains pour te voir sacrifier des vies ou la tienne. Je veux te voir piloter, progresser, que la foule t’adule, que la foule t’idolâtre, qu’elle t’attende, qu’elle penche avec toi dans chaque virage, qu’elle se propulse lors de chaque accélération comme si elle était sur ta moto vers une victoire méritée due à un pilotage de qualité et parce que le pilote est tout simplement un homme respectueux et de ce fait un pilote respecté. Et toi tu me parles de jeu de massacre, de victoire due aux alliés mais l’hymne que j’entendrais alors serait souillé. Jamais, comprends bien, jamais je ne m’y résoudrai. Une course doit être propre, honnête et toute victoire doit être méritée !

            Le jeune pilote fulminait sentant qu’avec de telles paroles la victoire qu’il espérait lui échapperait. Presque fou de rage, il vida son cœur et se mit à invectiver celui qu’il avait pourtant toujours écouté.

            – Peut-être, mais aujourd’hui je suis un pilote et je veux gagner quel que soit le prix à payer. Et puis de toute façon qu’est-ce que tu t’y connais en moto, en grands prix… Je ne t’ai jamais vu piloter, je ne t’ai jamais vu gagner ni te battre comme je le fais. Tu es ici parce que tu peux financer une écurie et développer des moteurs mais question pilotage, tu n’as rien à m’apporter Led, rien. Le fameux code du respect que tu imposes à tous les pilotes que tu as engagés ne sert qu’à les faire perdre, à me faire perdre. C’est une chimère, une utopie, un monde de courses parfait que tu as imaginé, incompatible avec la réalité. Réveille-toi Led : je suis un pilote de course et tu n’es que mon conseiller financier et moral. Tu ne parles jamais de toi parce qu’il n’y a rien à dire. Tu vis la moto à travers nous les pilotes mais le monde de la piste t’est totalement étranger ! Tous ceux de l’équipe t’obéissent au doigt et à l’œil peut-être parce qu’ils te craignent. Pour que je continue à t’écouter et à te suivre il faudrait que tu puisses m’éblouir, m’en imposer car je ne suis pas comme eux. Mais aujourd’hui, j’ai tout compris, je suis un nouvel homme et le pilote qui est en moi va gagner.

            Autour des deux hommes les mécaniciens et d’autres membres du paddock s’étaient approchés pour assister à la conversation houleuse. Devant les stands, deux lumières clignotaient, invitant les pilotes à se préparer pour disputer les deux derniers tours qui décideraient de la victoire.

            – Tu ne sais pas ce que tu racontes gamin, dit le chef mécanicien, tu…

            Un autre l’interrompit et fixant le Warrior dans les yeux il dit :

            – Tu aurais mieux fait de te taire. Décidément, tu n’as rien compris.

            – Retenez-le ! lança Led aux membres de son équipe. Il ne courra plus aujourd’hui.

            Tous avaient deviné son intention. Tous savaient qu’un jour cela se produirait. Tous lui obéirent comme un seul homme.

            Le Warrior fut aussitôt bloqué et dirigé hors des regards. Il se débattait mais on le maintenait fermement. Il criait qu’il avait une course à finir qu’on ne pouvait pas l’en empêcher mais rien n’y fit. Il fut conduit dans un des local de l’équipe où on l’installa devant un écran.

            – Maintenant petit tais-toi, arrête de bouger et regarde. Tu vas prendre la première et vraie leçon de pilotage de ta vie.

            La corne de brume qui faisait office de sonnerie retentit à nouveau faisant davantage penser à un lâcher de lions dans une arène qu’à une compétition réputée. Les combinaisons de cuir ajustées, les fermetures en D des casques parfaitement bouclées, les pilotes se dirigèrent vers les engins qui déjà vrombissaient. On aurait dit qu’une horde aussi puissante que sauvage allait être lâchée. Chacun se plaça sur la grille de départ pour les ultimes tours qui pouvaient tout changer.

            Posté devant son écran, le Warrior attendait. Le grand prix se jouerait sans lui. A sa place il vit un pilote avancer, doté d’une combinaison bleue et jaune. Au sommet de son casque, on pouvait voir la peinture d’une sorte de personnage caricaturé qui riait. L’homme se posta aux côtés de sa machine. Il semblait prier. Dovi2 le regarda. Il avait compris que le Warrior était forfait, remplacé par ce pilote. Led enfourcha l’engin et, comme les autres, parcourut le tour de chauffe. Sa conduite était souple, féline, racée. Il se positionna ensuite à la dernière place d’où il s’élancerait. Sa main droite balaya sa combinaison devant, derrière, comme des gestes rituels à accomplir peut-être gages de vélocité puis il s’accrocha aux poignées, le regard fixé au loin, sur la ligne d’horizon de la piste. Juste au-dessus de sa selle, sur le cuir, on pouvait voir lire trois lettres : LED. Le feu rouge clignotait, annonçant le départ imminent puis il passa subitement au vert. Les motos bondirent. L’assaut était donné.

            Il ne fallut à Led que quelques secondes pour absorber, avec une facilité déconcertante, cinq pilotes médusés qui restèrent dans son sillage alors qu’il attaquait. Ne faisant qu’un avec son engin, il se jouait des virages et, empoignant plus tardivement les freins que les autres, ils les dépassaient. Piqués au vif, deux pilotes tentèrent une manœuvre folle pour le faire chuter. Les motos se touchaient. Leur but, le diriger vers les graviers. Led devait absolument se dégager. Il freina alors brusquement, tandis que son poursuivant, décontenancé par son geste perdit l’avant et vola dans les airs tel un soleil sur le point de se coucher. Son autre adversaire en profita pour se placer devant afin de gêner sa progression. Mais Led comprit tout de suite qu’il attendait la remontée d’un allié lequel, s’il touchait sa roue arrière, le déstabiliserait.  Sans pouvoir le constater, il sentait déjà l’autre qui approchait. Leurs pneus risquaient bientôt de se toucher. Contre toute attente, il accéléra, accomplit avec une maîtrise incroyable un évitement et la moto, en équilibre sur la roue arrière, se propulsa en avant dépassant celui qui tentait de le freiner. La rencontre imprévue dess deux acolytes puis leur chute fut inévitable. Pris à leur propre piège, ils se relevèrent indemnes mais les motos refusèrent de redémarrer. Dans les tribunes on parlait :

            – Mais qui est ce pilote ?

            – Il est incroyable ! Il conduit avec une précision inouïe !

            – C’est un pilotage de toute beauté !

            – Oui, je n’ai jamais rien vu de tel.

            – Toi non, moi si ! Mais c’était voilà bien des années, quand les courses de moto consistaient encore à faire preuve d’adresse, de tactique de pilotage, d’observation.

            – C’est superbe et ça devait être passionnant !

            – Oh oui, bien mieux que cette foire d’empoigne grotesque à laquelle nous assistons à présent et qui consiste à s’écharper.

            – Tu connais ce pilote ?

            – Oui, c’est Led ! Un des meilleurs pilotes que la terre ait jamais porté.

            – Led ? Led ! ce nom ne me dit rien.

            Et sur la piste, Led remontait. Devant lui, il ne restait que deux pilotes qui ne laisseraient rien passer. Leurs alliés étaient trop loin derrière ou avaient chuté. Les trois hommes étaient seuls et devaient livrer bataille pour l’emporter. Les derniers virages du dernier tour décideraient de l’attribution du titre.

            Warrior, médusé, avait presque collé son nez à l’écran. Devant ses yeux, celui qu’il venait de rejeter, à qui il avait voulu donner une leçon lui démontrait un savoir-faire inégalé. Pendant les quelques secondes de fin de course, il vit ce pilote, telle une divinité, balancer son engin, accélérer, freiner… en un mot piloter. Il comprit qu’au jeu des alliances afin de gagner les pilotes avaient perdu en dextérité et que la finesse de la conduite avait progressivement disparu, remplacée par les bousculades, les pneus lacérés au couteau, les coups de bottes ou de casques. La moto GP était devenu un spectacle rentable navrant, honteux mais plébiscité.

            – Mais bon Dieu, qui est Led ? Dites-le moi les gars, demanda Warrior à ceux qui le laissèrent désormais se déplacer à sa guise.

            Il empoigna l’écran à deux mains comme pour s’assurer de ce qu’il voyait : Led, unanimement ovationné, qui franchit le premier la ligne d’arrivée.

            – Comment, toi le grand pilote, tu ne sais même pas qui il est ? se moqua un membre de l’équipe.

            Warrior sortit du local comme si on l’avait chassé. Aux avants-postes du paddock, là où stationnaient les trois premières motos de la course, il attendit Led. Sa moto était arrêtée, à la place d’honneur mais Led demeurait invisible.

            – Où est Led ? demanda-t-il à ceux qui l’entouraient.

            – Ah, ce pilote ! Il est parti, par là je crois. Il n’a même pas voulu parler. De toute façon il devra revenir pour recevoir son prix.

            Warrior regagna son stand. Led s’y trouvait. Il tenait un petit chiffon et frottait son casque non pas pour le nettoyer mais comme s’il pactisait avec.

            – Mais que fais-tu ? Tu as gagné. Tu es le vainqueur. Ils t’attendent pour le prix. Tu dois…

            – Vas-y à ma place ! Tu as disputé toutes les courses précédentes en appliquant ce que je t’ai enseigné : le respect. Je ne veux pas de ce titre et si aujourd’hui tu as compris ce que je t’expliquais alors c’est toi qui l’a amplement mérité ! Va petit, monte sur le podium et sois fier d’une bataille juste, d’un pilotage affûté et du partage de la piste avec tous tes équipiers. La moto est un univers à part que pendant longtemps d’autres sports ont envié. Il faut renouer avec les valeurs d’antan. Il faut retrouver le sens de la course en moto GP.

            – Mais qui es-tu Led ? Je te connais depuis des années, sans te connaître.

– Reçois ton prix, je te le dirai après !.

            Le Warrior se plia aux photos, aux publicités mais lors des interviews il tint un discours auquel personne ne s’attendait. D’un ton solennel, il nomma un après l’autre le nom des pilotes qui étaient tombés, encore pleurés par leurs familles. Nul n’osa interrompre sa litanie pourtant justifiée. Il expliqua ensuite que ce qu’il avait vu sur la piste l’avait changé, que ceux qui se croyaient pilotes ne l’étaient pas en réalité, réduits à l’état de combattants agressifs, violents, dénués de pitié, que tous avaient reçu une leçon, battus loyalement par l’habileté d’un ancien pilote jadis vénéré. Une journaliste l’interrompit :

            – Et ce pilote, Warrior, vous le connaissez ?

            – Je crois que nous le connaissons tous et je viens seulement de me rappeler de ce que mon père me racontait, de cette année 2015 et des dernières compétitions du moto GP au cours desquelles notre avenir s’est joué. Les instances sportives de l’époque, sensibles à l’audience qui avait grimpé du fait de la bataille injustifiée opposant deux pilotes, décidèrent de modifier le règlement. C’est ainsi que les coups furent autorisés, voire conseillés, les alliances pour gagner encouragées et même sponsorisées. Le vainqueur du GP de l’époque fut hué tandis que celui, qui l’avait semble-t-il aidé, fut conspué. Le titre échappa cette année-là à celui qui l’avait mérité et le moto GP devint ce que tous vous connaissez, cette course qui n’est plus qu’un appel au meurtre ! J’ai honte de ce qu’est devenu ce sport et j’annonce aujourd’hui que je ne courrai plus jamais comme avant. Je veux redevenir un pilote digne de ce nom. Je ne suis plus le Warrior !

            Le jeune homme voulut se retirer mais on l’interpella :

            – Le nom de ce pilote majestueux d’aujourd’hui s’il vous plaît.

            – Je l’ai toujours appelé Led sans savoir véritablement comment il s’appelait.

            Alors un journaliste de presse désormais retiré de la profession se leva, s’approcha du micro et dit :

            – A l’époque je le connaissais. Led pour Le Doctor. c’était le numéro 46. Je viens juste de le comprendre. C’est une belle leçon qu’il nous a donné. Il vient de redonner au moto GP ses lettres de noblesses !

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Raoul de Cambrai, suite et fin

RAOUL DE CAMBRAI, suite et fin

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Chers lecteurs,

Il y a longtemps que certains d’entre vous attendaient la fin de ce récit du Moyen Age. La voici !

Pour ceux qui préfèrent mes  histoires à suspense, rassurez-vous, cette semaine vous lirez la suite du « Royaume sans escale », une nouvelle histoire courte, vous découvrirez le concours (livre à la clé)… donc 5 (ou plus) bonnes raisons de revenir me rendre visite sur ce site et de vous y inscrire.

Bonne lecture !

Bernier, adoubé chevalier par Raoul qui est mort a épousé Béatrice qu’il voit peu. Il est l’un des rares à faire preuve de sentiments dans cette geste et l’on est bien loin de ce qu’on appelle au Moyen Age la fin amor, c’est à dire un amour teinté de courtoisie. Les femmes des chansons de geste, vous l’aurez compris, ne représente pas grand chose. Leurs époux, leurs fils… sont si prodigieux dans les batailles notamment qu’elles s’effacent totalement à leurs côtés comme dans la narration sauf quand elles sont reines ou qu’elles sont à l’origines de malédictions comme dame Aalais dont je vous ai parlé bien avant. 

Bernier part au combat et affronte un Turc, un véritable démon « un malfé » dit le texte du Moyen Age. L’homme est redoutable, grand, puissant. Rien de surprenant à ce que les récits de l’époque parlent de Sarrasins, de païens… quand on sait l’importance que l’on accordait à la religion ! Il n’y a rien de surprenant non plus à ce que ce soit le chrétien qui gagne le combat. Il tranche la tête de son adversaire et l’amène au roi Corsuble qui dit :

CCXCVIII

« Crestiens, biaxamis, 

par Mah[omet], a gret m’avés servit. 

Se or voloies demorer avuec mi

tout mon roiaume te partirai par mi »

Vous aurez compris que le roi Corsuble se propose de partager son royaume avec Bernier victorieux car ce passage, bien qu’en ancien français, est assez clair. Mais Bernier, le seul sentimental (mais pas toujours) de cette geste, veut retrouver son épouse et il préfère rentrer. Il finit par la retrouver, non sans mal car la dame est la prisonnière d’un certain Herchambaut. Une ruse à l’occasion d’un bain dans une fontaine va leur permettre de s’enfuir car Herchambaut nu ne peut les suivre. (La fontaine est vertueuse, miraculeuse et ceux qui s’y baignent luttent contre l’impuissance ou les femmes deviennent fertiles). Scène rare que la laisse CCCXVIII où un homme est nu dans une fontaine. La dame veut que Bernier en profite et lui coupe la tête mais en agissant ainsi il serait déshonoré. Tous deux s’en vont donc tandis que l’autre est littéralement enragé. Bernier et Béatrice recherchent ensuite leur premier fils, Julien, disparu et à l’occasion de leurs retrouvailles après l’épisode de la fontaine, ils conçoivent une deuxième enfant : Henri.

En cherchant Julien, Bernier retourne auprès du roi Corsuble et doit se battre avec un certain Corsabré qui n’est autre que son fils. Il ne le sait pas.

« Li uns est pere et li autres est fis » précise le texte.

Mais Bernier croit que Corsabré est un païen recherché pour avoir tué le frère du roi Corsuble. Lors du combat, Julien (Corsabré est fait prisonnier). Julien est condamné à mort.

CCCXXIX

« Fai me une forche sor cel tertre lever,

ce pautonnier maintenant me pendès »

Ce qui signifie que Julien doit être pendu. Mais autour des hommes certains sont frappés de la ressemblance entre Julien et Bernier. Alors, miraculeusement, Bernier reconnaît soudain son fils.

Les retrouvailles sont émouvantes et tous deux rentrent à Saint-Gilles. Julien sera le digne héritier de celui-ci. Bernier pardonne finalement à Guerri toutes ses actions contre lui et ils décident de partir en pèlerinage à Saint-Jacques. Mais intérieurement, Guerri est  partagé. Il veut retrouver la paix auprès de Bernier mais il songe au fait qu’il est aussi celui qui a tué son neveu. Voici ce que dit le texte :

CCCXXXVIII

Gerri ot duel, ce saichiés vos de fi,

por la parole qu’ot de B[ernier] oït

qui li mentoit la mort de ces amis.

Tros qu’a une iaue chevauchiere[n] ainsis ;

lors chevax boivent qui enn ont grant desir.

Li duels ne pot forsdel viellart issir,

max esperis dedens son cors se mist :

ill a sa main a son estrivier mis,

tout bellement son estrier despendi,

parmi le chief B[erneçon] en feri,

le tes li brise et l[a] char li ronpi,

enmi la place la cervelle en chaï.

En résumé : Guerri est profondément accablé. Il songe aux morts, à ses proches. Ils chevauchent tous deux vers une rivière où leurs chevaux boivent. Le vieillard ne pouvant oublier sa douleur, il sort doucement son étrier et frappe Bernier à la tête. Il lui fend le crâne et la cervelle de sa victime tombe dans l’eau.

Guerri s’enfuit ensuite. Et Bernier ???? Il n’est pas mort (vous voyez qu’ils sont forts ces chevaliers du Moyen Age) et dans ses derniers instants, il pardonne le geste terrible de Guerri avant que son âme ne s’envole au paradis (après la cérémonie des brins d’herbe). Béatrice pleure Bernier et les fils de celui-ci veulent bien évidemment le venger. Ils incendient Arras. La citadelle est assiégée et l’on apprend, à la fin de la chanson de geste, alors que la nuit tombe que Guerri quitte la citadelle à cheval et s’exile. Henri, le second fils de Bernier reçoit la citadelle  d’Arras et en devient le seigneur.

« D’or an avant faut la chançon ici :

beneois soit cis qui la vos a dit

et vos  ausis qui l’avé ci oït. »

Traduction :

La chanson s’arrête ici : béni soit celui qui vous la chanta et vous aussi, qui l’avez écoutée.

On voit dans ces dernières phrases que l’histoire que je viens de vous conter et de résumer (car elle comporte 8542 vers) était chantée sur les places, dans les châteaux… puisque le gens ne savaient pas lire. L’oralité était primordiale. Le jongleur qui raconte ces exploits (qui les chante) se devait de remercier ses auditeurs et de les bénir en ces temps si croyants.

Voilà chers lecteurs contemporains du XXI ème siècle. J’espères vous avoir fait découvrir la réalité des écrits du Moyen Age et vous avoir sensibilisé à ces oeuvres riches, exceptionnelles et surprenantes qui n’ont rien à envier à notre littérature fantastique.

La prochaine oeuvre du Moyen Age que je vous ferai découvrir sera « Perceval, le nice (ce qui signifie le sot, le benêt), de Chrétien de Troyes. Je ne la présenterais pas comme je l’ai fait pour « Raoul de cambrai ». Je l’analyserai afin de vous faire découvrir toute sa saveur et sa spécificité car, chers lecteurs elle est l’ancêtre des romans que vous lisez !

La semaine prochaine :

  • le concours dont je vous ai parlé sera lancé (un livre à gagner) alors revenez souvent sur le site pour ne pas le manquer ;
  • vous découvrirez la suite du « Royaume sans escale » ;
  • et, semaine suivante je vous immergerez dans une toute nouvelle histoire.

Alors merci de vous abonner, de partager et de parler de ce site autour de vous comme tant l’ont déjà fait, que je ne remercierai jamais assez.

Bonne lecture, bonnes soirées, bonnes journées… au plaisir immense de vous retrouver !

Votre auteure : Aurey Degal

 


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Le Royaume sans escale, 2ème partie

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Le Royaume sans escale, 2ème partie

            La mer, si calme jusque-là, avait désormais son mot à dire et le bateau tanguait si bien qu’il devenait difficile de se tenir sur les ponts. Comme s’ils étaient ivres, les matelots progressaient de biais tentant de s’accrocher à tout ce qui était à leur portée. Les treize gabiers avaient reçu l’ordre d’affaler les voiles qui faseillaient au vent du nord et battaient avec force, mues par de gigantesques mains invisibles mais puissantes. Il ne pleuvait pas mais les hommes étaient trempés jusqu’aux os, fouettés par d’innombrables gerbes d’eau salée.

            – Le Hennec, tire plus fort à droite, hurlait le maître des gabiers qui tentait de coordonner les gestes des marins.

            Deux matelots tentaient de dégager une voilure coincée, en vain. La scène ressemblait à un combat et la lourde toile entravait les jambes des hommes qui tombaient, glissaient sur le pont et revenaient tant bien que mal pour accomplir leur tâche.

            – Le hauban est bloqué, maître gabier. Inutile de tirer. On ne le dégagera pas ! Il ne…

            Il n’avait pas fini sa phrase qu’une vague, plus haute que les autres, le balaya tel un brin de paille et le jeta contre un mât. L’homme tituba en se relevant. Sa tête avait heurté deux ou trois obstacles, lors de sa glissade incontrôlée. Le maître gabier se lança à son tour à l’assaut pour aider ses hommes.

            – Il faut monter, nous n’avons pas le choix. Nous devons dégager la voile et vite l’affaler. Si la mer se déchaîne encore ainsi que le vent, avec cette voile qui bat, nous ne pourrons plus diriger le navire. Qui se dévoue ?

            Sans donner de réponse, Le Hennec, connu pour sa bravoure et son courage, commença à escalader le grand mât, un couteau coincé entre les dents. Les autres le regardaient, perplexes. Il était agile mais lourd. Les éléments semblaient vouloir empêcher sa progression et il reçut des dizaines de gifles monstrueuses d’eau salée. Il résista et quand il arriva enfin au sommet, d’une main, il s’agrippa et de l’autre il commença à tailler dans l’épaisse toile qui figeait tout le gréement. Avec le vent, elle s’était entortillée autour de celui-ci et, trempée, il était impossible de la défaire tant le nœud qui s’était formé était serré. Tout à coup, libérée, la voile tomba lourdement sur le pont. Aussitôt les deux matelots restés au pied du mât s’en emparèrent et la roulèrent pour l’attacher. La tempête gagnait en intensité. La houle martelait la coque du navire voulant le prendre d’assaut. Le bruit était infernal. Le vent sifflait rageusement, la mer vociférait d’obscures paroles.

            – Le Hennec, redescends maintenant, c’est bon ! Bravo !

            Les flots impétueux engloutirent ces paroles.

            – Il a été courageux, maître, fit remarquer l’autre en achevant son nœud de cabestan qui lui permettait de se tenir de l’autre main.

           – Oui, très courageux et habile. Fais deux demi-clés sur le dormant de l’amarre sinon le nœud va se défaire. Les nœuds de cabestan ont souvent tendance à se desserrer.

           – Oui maître ! Obéit immédiatement le gabier discipliné.

         – Voilà ! La voile est bien attachée, dit le maître calfat à son matelot. Rentrons à l’abri. C’est terminé.

            Le marin ne demanda pas son reste. Il leva le menton en direction du grand mât. Plus personne ne s’y trouvait.

            – Le Hennec maître, où est Le Hennec ?

            On l’appela. On le chercha. Il ne reparut jamais. Une lame plus véloce que les autres était venue le cueillir quand il redescendait. Trente-et-un hommes manquaient désormais à l’appel.

*

            – Je vous écoute Sillace. Qu’ont donné vos investigations ? Où sont les trente hommes d’équipages qui n’ont pas répondu à l’appel ce matin ?

            – Il n’y a pas un seul recoin du navire qui n’ait été inspecté. Nous avons procédé méthodiquement, ouvrant toutes les cachettes les plus improbables. Nous avons ouvert les tonneaux de poudre, de farine… Bref, le bateau a été passé au peigne fin mais il n’y a aucune trace des hommes que nous recherchons. Dans les hamacs où ils ont passé leur dernière nuit, les couvertures sont encore tirées, toutes de la même façon, comme s’ils dormaient dessous. Leurs quelques affaires sont aussi en place. On dirait qu’ils se sont évanouis.

            – Je n’ai jamais entendu une chose pareille ! rétorqua le commandant. J’ai confiance en vous Sillace mais j’avoue que c’est extraordinaire !

            Loutail, fixait le lieutenant d’un air dubitatif. Il ajouta :

            – Êtes-vous certain de n’avoir rien oublié ? Ne nous cachez-vous pas quelque chose ?

            – Je vous assure que non. Cependant lors de nos recherches…

            On l’interrompit.

            – Entrez, s’exclama Jim alors qu’on frappait à sa porte. Maître gabier, que vous arrive-t-il ? Faites vite nous avons une urgence à traiter.

            Encore dégoulinant d’eau de mer, le visage baissé, pressant entre ses doigts un chapeau tout aussi trempé, l’homme déclara :

            – Mon commandant, on a fait tout ce qu’on a pu pour détacher la voile qui s’était coincée autour du mât principal. C’est Le Hennec qui s’en est chargé mais en redescendant il est tombé à la mer et quand elle est aussi déchaînée, vous savez comme moi qu’il n’y a rien à faire. Je suis désolé mon commandant. Un homme de moins chez les gabiers.

            Jim frappa violemment du poing la table de bois et pria l’homme de se retirer.

            – Décidément, il semble que la chance ne soit pas de notre côté. Loutail, voyez l’aumônier pour rendre hommage à ce gabier.

            Le commandant en second sortit aussitôt.

            – Sillace vous aviez autre chose à ajouter avant l’arrivée du maître gabier.

           – Oui Jim. Je n’ai trouvé aucun des hommes mais j’ai débusqué autre chose : un passager clandestin.

            – Un passager clandestin ! Étrange traversée que celle-ci. Dites-m’en plus.

           – Eh bien, il se cachait parmi les soldats de la garnison. Ce qui a attiré mon attention, c’est qu’il se comportait étrangement et se tenait un peu trop à part. Les autres commençaient d’ailleurs à le chahuter. Nous avons fait aligner tous les soldats et nous les avons comptés, deux fois. Résultat : 131 soldats au lieu de 130 initialement embarqués. Et comme nous avons procédé ainsi pour tous les corps, les canonniers, les calfats, les hommes de bord, les charpentiers, les novices… Nous sommes certains que cet individu est de trop à bord. J’ai ordonné de l’arrêter. Il a alors tenté de fuir mais il a aussitôt été rattrapé. Et puis où pouvait-il espérer aller ? On ne s’enfuit pas d’un navire !

            – Les trente hommes qui manquaient ce matin tendent à prouver le contraire, coupa Jim perplexe. Et où est ce clandestin pour l’instant ?

        – Je l’ai fait placer dans la cale, à l’isolement. C’est un jeune, il n’a pas l’air récalcitrant. Si vous voulez le voir et l’interroger…

            – Pas pour le moment ! J’ai du travail. Avec cette tempête et les deux ou trois avaries déclarées, je dois modifier notre route pour espérer un temps plus clément en navigant au sud. En revanche, veillez à ce que les canons malmenés par le tangage du navire soient à nouveau fixés solidement. Ils pourraient écraser des hommes en bougeant et endommager la coque. Voyez aussi les autres lieutenants afin qu’ils fassent le point sur les vivres. Certaines pourraient avoir pris l’eau. Tout pourrit si vite quand l’humidité s’infiltre et avec cette tempête l’eau a dû pénétrer un peu partout ! Faites écoper ! Il faut être vigilant.

            – L’aumônier dira une bénédiction demain matin pour le marin tombé à la mer, déclara Loutail en revenant. J’ai aussi appris qu’il y avait un passager clandestin. Voulez-vous que je m’en charge ?

            – Non ! Remettons-nous au travail. Il faut tirer des bords en direction du sud où nous trouverons des vents plus favorables. J’espère que cette tempête ne s’éternisera pas trop.

            – Je l’espère aussi.

*

            La nuit suivante fut plus calme mais sur le bâtiment, on ne dormait guère. On réparait ce qui s’était cassé, on consolidait, on assemblait les voilures déchirées… Un rythme de cinq quarts avait été établi. Certains dormaient, quelques-uns travaillaient, d’autres médisaient :

            – Commandant Jim ou pas, elle n’est pas normale cette traversée. D’abord, des matelots qui disparaissent, la tempête qui fauche un homme, un clandestin caché parmi nous, les canons qui se sont détachés, cinq mille litres d’eau fichus et les salaisons qui baignent dans l’eau salée.

            – Je suis de ton avis. Il y a un mauvais œil qui est monté sur le Royal-Louis.

            – Bah, la tempête s’est calmée.

            – Allons, marins ! Cessez de parler et faites votre travail. Finissez votre quart et vous irez vous coucher, ordonna leur chef.

            Les matelots baissèrent les yeux et se turent. Ils n’en pensaient pas moins.

*

            – Sillace au rapport Jim !

            Il était cinq heures du matin. La nuit, comme la précédente, avait été calme. Le lieutenant attendait que le commandant le priât de parler. Ce dernier, assis dans un fauteuil, un verre à la main, referma le livre qu’il venait de consulter. Il n’avait pas vraiment dormi.

            – Avez-vous fait votre tournée mon ami ?

            – Tournée faite Jim.

            – Et ? Vous me semblez sur la retenue.

            – Effectivement ! C’est que… c’est que…

            – Dites, je vous prie, s’impatienta-t-il. Mais ne me dites pas que…

            – … Si mon commandant ! ne put-il s’empêcher de déclarer.

            – Il manque des hommes ? Il manque des hommes, reprit-il involontairement en écho. Disparus ? Comment ? Combien ? Lesquels ?

            – Treize sont portés manquants. Deux gabiers, six novices, trois voiliers et deux soldats.

            Jim ferma fortement les paupières pour accuser le coup que cette déclaration venait de lui porter.

           – Je n’ai pas dormi cette nuit. Je suis monté prendre l’air et je suis resté là, à arpenter les trois ponts et tout le navire des heures durant. Je n’ai rien vu d’étrange, pas d’activité si ce n’est celle des gardes. Mon Dieu, treize hommes ne s’envolent pas sans bruit. C’est impossible !

           – Je le sais mon commandant… Jim, mais comme hier nous avons déjà vérifié, fouillé, compté et recompté l’équipage. Le nombre reste toujours le même : nous avons perdu 43 hommes en deux nuits. Et…

            Sillace se tut un instant.

            – Et quoi ?

            – Les hommes parlent de traversée du malheur… le ton monte.

         – Certes mais après tout c’est bien normal. N’oublions pas aussi que nous avons un passager de plus : le clandestin. Allons lui rendre visite.

            Les deux hommes, accompagnés de Loutail, descendirent à fond de cale. Celui-ci tenait une lanterne dont les verres étaient brisés. La flamme vacillait. De la proue à la poupe, le Royal-Louis avait été compartimenté et il regorgeait de victuailles. Quatre petites pièces étroites, sombres et humides étaient restées dégagées pour accueillir les matelots devenus rebelles à l’autorité après des mois de navigation éprouvante. Dans une de ces cellules, le clandestin attendait. Il était couché à même le bois froid quand il entendit des pas s’approcher ainsi que des voix. Il se redressa, s’assit et entoura ses jambes repliées de ses bras. Aucun gardien ne surveillait les lieux. Un cliquetis, une clé qui se glisse dans une serrure, une rotation de plusieurs crans et un filet de lumière qui pénètre le premier dans la geôle exiguë. Le clandestin, habitué à l’obscurité, leva son bras devant son visage pour ne pas être ébloui. Un broc d’eau en terre reposait à côté de lui et une assiette dans laquelle on devinait encore des restes de repas. Jim, toujours bienveillant, humaniste avant l’heure lui dit :

            – J’espère qu’on vous a bien traité, jeune marin.

            L’autre, le visage enfoui entre les genoux ne répondit rien.

            – Vous taire ne vous avancera pas. La traversée sera longue. Il va falloir tout nous dire et nous révéler le pourquoi de votre présence sur mon navire. On ne vous fera aucun mal. Vous serez bien traité si vous nous révélez votre identité. Qu’êtes-vous venu faire parmi les soldats de la garnison ?

            L’inconnu se taisait toujours. Sillace sollicita la permission d’intervenir.

          


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Le Royaume sans escale

LE ROYAUME SANS ESCALE

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            Le commandant Jim connaissait le bateau comme sa poche. Il avait traversé tant de fois les océans à bord du Royal-Louis.

Il avait été engagé comme petit mousse à l’âge de huit ans sur un premier navire. On lui avait fait faire la cuisine et nettoyer les ponts. Il en avait passé des heures à frotter le bois, à quatre pattes, avec sa brosse et son seau. Il avait fait toutes les corvées, sans rechigner. Mais il était curieux et ambitieux. Il observait, il surprenait, il apprenait !

            Rapidement, on s’était rendu compte qu’il y avait chez ce jeune un certain potentiel à exploiter. Beaucoup se servaient de lui, d’autres plus généreux, comprirent qu’il serait un jour un grand marin.

            Le Royal-Louis, vaisseau de premier rang d’une capacité de 2400 tonneaux avec ses trois ponts et un équipage de 800 hommes, allait bientôt prendre la mer pour un voyage de deux mois. Sa Majesté en avait décidé ainsi. Mais il voguerait bien plus longtemps, ce qu’ignorait Jim comme le roi. Chaque gueule de ses 80 canons de bronze était prête à défier le monde. Il était richement décoré et sa devise, « Je suis l’unique dessus l’onde, et mon Roy l’est dans le monde », disait combien il est redoutable et admiré. Rodolphe Gédéon l’avait construit, le capitaine Jim le commandait.

            Du quai, ce dernier contrôlait scrupuleusement tout ce qui montait à bord. Rien ne devait manquer. On embarquait 210 000 litres d’eau, 101 000 litres de vin, 1450 litres d’eau-de-vie et de vinaigre pour lutter contre l’eau qui ne manquerait pas de croupir, 54 tonnes de biscuits de mer qui formaient la base de l’alimentation des marins, 56 tonnes de farine, 18 tonnes de salaison, de fèves et de fayots, 3 tonnes de sel pour conserver les aliments, 5 tonnes de riz. Et puis il veillait sur l’état des animaux qui montaient docilement à bord : poules, canards, pigeons, moutons, oies, cochons, bœufs. Les caisses d’armement étaient aussi scrupuleusement inspectées de la poudre en passant par les boulets de canon, la mitraille ou les mousquetons.

            Le ventre du Royal-Louis était aussi plein qu’un ogre repu. Mais il ne sommeillait pas. Mille petites mains s’activaient pour vérifier une dernière fois les voiles, les boussoles, les compas, les sextans, le calfatage de la coque… Il était impensable de laisser quoi que ce fût au hasard. Le grand large ne pardonne rien aux oublieux !

            Le lendemain matin, tous embarqueraient : les lieutenants, les enseignes, l’aumônier,les maîtres canonniers, les maîtres calfat et les hommes de bord composés de gabiers, de matelots et de novices que le commandant Jim prendrait sous son aile bienveillante en songeant que lui aussi l’avait été.

            Ce n’était pas sa dernière traversée. Il y en aurait beaucoup d’autres. Mais ce serait une traversée singulière, une traversée que personne n’aurait osé imaginer, une traversée placée sous le sceau du roi certes comme sous celui de la peur embusquée là où personne ne l’imaginait.

*

 

            Le navire quitta le port de Saintonge et gagna rapidement le large. Les marins venaient de laisser leurs familles. Rares étaient ceux qui les reverraient. La mer était calme, trop peut-être ! Les côtes canadiennes ne seraient en vue que dans quelques mois.

            – J’ai entendu dire que la traversée de l’Atlantique Nord en direction du Canada était extrêmement difficile ! dit un lieutenant au commandant Jim alors que le rivage s’éloignait.

            – C’est vrai mais toute traversée réserve son lot de difficultés qu’il faut affronter. Nous n’avons pas le choix. Les Hollandais, fins navigateurs, disaient : « mieux vaut être sur la lande avec un vieux chariot que sur mer dans un navire neuf ». Quand tu comprends ce que cette phrase signifie, tu te demandes d’abord ce que tu fais sur ce navire. Ensuite, tu te dis que, de toute façon tu n’as pas choisi alors tu apprends à prier car c’est la seule chose qui te reste !

            – Prier, oui, j’ai souvent prié en mer, confirma le lieutenant, le regard perdu dans les vagues.

            – Ne vous inquiétez pas Sillace, Dieu veille sur nos âmes.

            – Je ne suis pas inquiet enfin pas quand je suis sur un de vos navires, commandant. On dit que vous êtes le meilleur et que vous connaissez tous les dangers.

            Jim s’amusa de cette remarque.

            – Qui peut s’enorgueillir de connaître tous les dangers ? Personne mon brave ! Cependant, j’ai tellement voyagé, j’ai affronté tant de tempêtes que je crois être plus chez moi en mer que sur la terre ferme. Et puis j’ai survécu à deux naufrages alors que les navires étaient commandés par des fous qui se croyaient plus forts que la nature. Je crois que c’est là qu’est le secret : il faut faire avec la mer et non lutter contre elle sinon, elle gagne toujours.

            Il passa une main dans sa barbe grisonnante qui lui donnait un air de vieux loup des mers que ses hommes adoraient.

            – Combien de petits mousses exactement ont embarqué ?

            – 65 mon commandant !

            – Veillez à ce qu’ils soient bien traités. Je ne veux pas que les matelots ou les soldats de la garnison les malmènent. Faites-le savoir aux membres de l’état-major et que chacun sache qu’il y aura des sanctions si ces gamins sont importunés.

            – Ce sera fait mon commandant !

            – Appellez-moi Jim ! Quand on est sur le même rafiot et que l’on affronte les mêmes dangers, j’aime que mes hommes m’appellent par mon prénom. Laissez le « commandant » pour les prétentieux !

            – Bien mon comm… euh, Jim !

            – Voilà, c’est mieux !

            Le soleil déclinait sur une ligne d’horizon qui s’agitait en permanence. L’obscurité s’emparait progressivement de la coque du navire dévorant les ponts sur lesquels des soldats montaient la garde. Les rares lampes à huile qu’ils étaient chargés de surveiller se livraient à des jeux d’ombres et de lumières comme si les âmes des marins morts au large erraient d’un mât à l’autre. Le mal de mer s’était aussi invité à bord et les malades se disputaient le pont avec ceux qui étaient chargés de le nettoyer aussitôt. Des matelots en profitaient pour railler ceux dont les estomacs appelaient au secours, disant qu’ils étaient des marins d’eau douce. Les autres, en piètre état, n’osaient contester.

            Après le repas quatre lieutenants ainsi que des enseignes arpentèrent le navire jusqu’aux cales pour inspecter le bâtiment et tout vérifier. Rien ne les alerta. Dans les logements prévus pour hommes de bord, la promiscuité régnait. Il n’y avait pas un seul hamac vide. Certains marins dormaient, d’autres jouaient. Le plus souvent, on tuait le temps à bord. La mer resta d’huile une bonne partie de la nuit et au petit matin elle commença à s’agiter.

*

 

            Le commandant Jim avait bien dormi. Il monta sur le pont principal à cinq heures du matin. L’iode le revigorait toujours et il aimait s’en imprégner. Comme à chaque traversée, un des cinq lieutenants vint faire son premier rapport de la journée.

            – Lieutenant Brodet bonjour. Avez-vous passé une agréable nuit ? demanda Jim à celui qui venait de le saluer.

            – Oui mon commandant mais le lieutenant Sillace nous a dit que nous pouvions vous appeler Jim. Autorisation mon commandant ?

            – Faites Brodet ! Votre rapport, j’écoute !

            – Rien à signaler Jim. Nous maintenons toujours notre cap et attendons vos ordres. La nuit a été calme. Les hommes sont moins malades ce matin, le moral est bon.

            – C’est toujours ainsi au début des traversées. L’équipage s’habitue progressivement au roulis. Dans deux ou trois jours, tout ira encore mieux.

            – J’en suis ravi, répondit Brodet.

            – Ne criez pas victoire trop vite mon jeune ami. Si la mer est dangereuse, l’ennui l’est aussi, tout autant que l’eau des tonneaux qui commencera à croupir ou des maladies qui viendront se déclarer. Voilà ce que nous devrons affronter. Entre le scorbut, le typhus, la dysenterie, le froid et l’humidité nous aurons de quoi faire ! Notre répit n’est que d’une quinzaine de jours. Sachez en profiter !

            – Je n’ai pas votre expérience mais je retiens ce que vous venez de me dire et j’en ferai part aux membres de l’état-major. Cependant, Jim notre voyage est assez court et je crois que les esprits n’auront pas trop le temps de s’échauffer. Quant à l’eau et aux vivres, nos marins ont de l’expérience et savent ce qu’il en est !

            – Bien analysé lieutenant. Que le ciel vous entende ! fit le commandant en levant les bras vers les cieux.

            Comme un vent doux et favorable se leva, Jim ordonna de déployer largement les voiles. On courut sur les ponts pour procéder à ces manœuvres et quelques minutes plus tard, le Royal-Louis fendait l’eau. On aurait dit que rien ne pourrait l’arrêter. Il avalait les milles nautiques à une vitesse déconcertante. Seuls les nuages dans le ciel semblaient se mouvoir avec la même aisance.

            Dans sa cabine, Jim et Loutail, le commandant en second, avaient déployé une carte. Ils mesuraient la latitude, la longitude et traçaient des lignes et d’autres, parallèles, autant de routes à envisager selon les conditions météorologiques. Ils entouraient les points à éviter.

            – Munissez-vous du sextant Loutail. Nous allons monter sur le pont pour faire les relevés.

            – Bien !

            On frappa à la porte.

            – Commandant, Jim ?

            – Oui, que désirez-vous ?

            – Je dois vous voir commandant ? Nous avons un problème ! Puis-je entrer ?

            – Entrez, répondit Jim et continuant de regarder ses cartes.

            Il reposa sa plume à côté de l’encrier.

– C’est encore vous Sillace qui venez me rencontrer ! Mais où sont donc mes autres lieutenants de vaisseau ? Que vous arrive-t-il ? Brodet a fait son rapport ce matin et il ne m’a rien signalé !

– Effectivement Jim. Nous ne l’avons remarqué qu’après, quand les maîtres ont voulu rassembler les hommes.

– Eh bien, qu’est-il arrivé ?

– Ils étaient agités, ils parlaient, à ce que m’ont rapporté leurs maîtres.

            – Je ne vois pas ce qu’il y a de gênant à cela ?

            – Ils s’interrogeaient.

            – À quel sujet ? demanda Jim en reprenant sa plume et en la plongeant dans l’encre afin de modifier un tracé.

            – À propos d’hommes qui manquaient à l’appel. Ils ne se sont pas rassemblés sur l’ordre de leurs maîtres.

            – Sillace vous les connaissez ! Certains sont peut-être encore malades et en train de vomir quelque part, d’autres ne se sont pas levés, voilà tout. Secouez-les !

            – Nous avons pensé à tout cela mais c’est autre chose qui nous a interpellés !

            – Quoi donc ? Ce ne sont pas cinq ou six hommes qui tirent au flanc de bon matin qui doivent nous alarmer ! tenta de rassurer le commandant.

            – Il ne s’agit pas de cinq ou six hommes, Jim. Trente hommes d’équipage manquent à l’appel !

            Surpris, Jim laissa échapper sa plume qui, en tombant, souilla aussitôt le bois.

            – Trente dites-vous ? Mais où diable sont-ils cachés. Je n’apprécie pas que dès le premier jour des matelots dérogent aux règles du commandant. Faites-les chercher !

            – C’est déjà fait Jim. Nous avons fouillé tout le bâtiment et …

            – Et ?… attendit le commandant accroché aux paroles de son lieutenant.

            – Et nous ne les avons pas trouvés. Tout y est pourtant passé : des cuisines, aux latrines, jusqu’au fond de cale. Il n’y a aucune trace d’eux. Et nous ne savons plus où chercher.

            – Eh bien, prenez davantage d’hommes et recommencez. Les marins ne s’envolent pas ainsi ou alors ils sont tombés à l’eau mais cela ne se produit qu’en pleine tempête, ce qui n’était pas le cas cette nuit. Nous ne sommes tout de même pas dans un cas de suicide collectif ! J’ai déjà vu des marins mettre fin à leurs jours en sautant par-dessus bord mais c’était après des mois de navigation et alors que la nourriture comme l’eau commençaient à manquer. Cherchez-les. Ils doivent être quelque part !

            – À vos ordres, Jim !

            Sillace se retira. Il dirigea lui-même les recherches, accompagné de marins et de soldats qui remuèrent chaque tonneau, chaque baril, chaque caisse… Ils n’oublièrent aucun recoin mais ils fouillèrent le bateau en vain.

            Trente matelots s’étaient évaporés. Trente ! C’était un nombre inconcevable. Cependant, Sillace ne se présenta pas les mains vides auprès de Jim. S’il n’avait pas trouvé les marins, il lui ramenait autre chose, autre chose qui allait faire jaser et susciter la méfiance de tous les membres d’équipage ! La traversée ne faisait que commencer !

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« Central Park » Guillaume Musso

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Alors que son dernier roman vient de sortir, j’ose vous parler de l’avant dernier. Oui, parce que c’est celui que je viens de finir. Et oui c’est encore Musso ! 

Voyez-vous ses intrigues sont prenantes et je me suis dit « j’en lis encore un ». Et puis, je l’envie, ce monsieur. Non parce qu’il sait écrire, ce qui est un fait, mais parce qu’il est connu et reconnu… Patience Audrey me dis-je, patience !…

Donc Central Park est un roman de 383 pages (mais comparé à mon roman Le Lien) le nombre de pages est identique (c’est une question de police de caractères et de mise en page). Force est de constater que l’on ne s’ennuie pas.

Dès le début de l’intrigue on se demande : « Mais comment sont-ils arrivés là ? ». La quatrième de couverture nous l’annonce pourtant mais il est vrai que deux individus, reliés l’un à l’autre, qui ne savent pas ce qu’ils font enchaînés en ce lieu, qui ont de surcroît des traces de sang sur leurs vêtements et des chiffres gravés à même la peau sur l’avant bras, c’est surprenant ! Et l’on se pique au jeu de piste que mène l’héroïne, officier de police.

Les analepses rhétoriques (retours en arrière) sont les bienvenues pour expliquer le passé de celle que nous prenons en affection, Alice. Les pointes de mystère sont aussi présentes avec le second personnage, Gabriel, flou, énigmatique, menteur, dont on ne sait si c’est pour la bonne cause ou pour mieux faire tomber Alice dans un piège qui semble l’attendre à chaque chapitre. 

Pour couronner le tout, un tueur en série vient jeter le trouble sur nos certitudes et l’on en vient à soupçonner un peu tout le monde : le père d’Alice, son coéquipier de toujours Seymour… Bravo Musso, c’est bien pensé !

L’intrigue emporte donc le lecteur sans aucune difficulté. Au fil des pages vous n’aurez de cesse que de finir le roman pour connaître la vérité, fort bien ficelée par Guillaume Musso, je dois dire. L’enquête est minutieuse, haletante, progressive. 

La seule – petite – ombre au tableau réside dans les pages qui précèdent le dénouement qui, s’il est d’une logique implacable, teintée de surcroît d’émotion, m’a quelque peu déçue. En effet, c’est à mon sens, un voile triste, presque sordide que Musso jette sur son histoire, à la manière de son premier roman Et Après. Le lecteur espère, espère encore et toujours mais… l’inespéré ne se produit pas.  Mais cela ne tient qu’à moi. J’aurais préféré une fin plus positive, moins dramatique… Je pense d’ailleurs que Musso l’a ressenti ainsi puisqu’il a ajouté un dernier chapitre, lequel atténue le sentiment négatif que j’éprouvais. 

En conséquence, je vous recommande la lecture de ce roman Central Park. Vous ne regretterez pas de vous y plonger et vous passerez d’agréables moments. 

N’oubliez pas que lire des livres délivre ! Alors lisez Musso ou mes histoires ou mon roman et le recueil de nouvelles que je m’apprête, sous peu, à publier ! 

Bonne lecture !


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L’Invasion

la vague

Derrière une vague se cache parfois une menace… mais parfois pas ! 

*

« Le lecteur qui s’engage ici tourne les pages d’un monde fictif ». Audrey Degal.

*

« L’Invasion » texte intégral.

– Il faut alerter le Préfet ! … Immédiatement que diable. Remuez-vous !

– Mais chef  vous croyez vraiment que…

– … Je n’ai pas pour habitude de répéter mes ordres. Si vous ne décrochez pas le téléphone et si vous ne me mettez pas en relation avec la préfecture dans les secondes qui suivent, je vous promets que dès demain vous allez vous retrouver à la circulation. 

Le lieutenant obtempéra sur le champ et il composa le numéro demandé. On le mit en attente. Il s’y attendait. Assis à un bureau ses doigts martelaient la surface de bois verni. Son supérieur fixait quant à lui un écran et scrutait des données chiffrées. Il s’entretenait avec d’autres qui affichaient aussi des regards inquiets. De temps à autre, il se retournait vers son subalterne lui faisant comprendre qu’il s’impatientait. Celui-ci répondait :

– On m’a mis en attente monsieur !

L’autre reprenait alors sa discussion avec les membres de la salle de contrôle :

– Je n’ai jamais été confronté à cela et pourtant j’en ai vu des vertes et des pas mûres depuis le début de ma carrière.

– Effectivement ! C’est bizarre.

– Comment est-ce que ça a commencé ?

 – Ce matin tout allait bien et tout à coup on a commencé à apercevoir des petits points sur les écrans de contrôle et le phénomène s’est progressivement accentué…

– C’est une sorte d’invasion !

– Oui, c’est ça ou alors une vague, une véritable déferlante…

*

Dans les stands du salon de la moto on faisait briller les chromes des motos. Chez Harley Davidson les lumières des néons se reflétaient sur les surfaces métalliques et il aurait presque fallu porter des lunettes de soleil pour ne pas être ébloui. Honda, Kawasaki, Suzuki, KTM, Moto Guzzi, Yamaha, Aprilia, Ducati, Triumph… toutes les marques étaient représentées. 

Je crois que ça va être un beau salon cette année, remarqua un des organisateurs.

En effet et l’exposition de motos anciennes devrait avoir un beau succès.

– Oui, comme les spectacles prévus aussi. 

– Qu’est-ce qu’il y a au programme cette année ?

On a une spéciale enduro avec une piste semée d’embûches dessinée par Jean Luc Fouchet. 150 pilotes s’y produiront. Il y a aussi une exposition Sand Raider qui concilie moto et aventure berbère, l’exposition custom, café racer et des photos avec un concours à la clé. 

– Excellent tout ça. Je crois effectivement que ça va être une réussite et puis c’est le premier rendez-vous motard de la saison après l’hiver. Les bécanes sont souvent restées au garage.

– Oui ! L’Afdm est également présente ainsi que quelques clubs de moto. C’est un beau salon.

*

Le rendez-vous avait été fixé : 10 heures devant chez Thibaut et Raphaël. Les copains attendaient ce moment-là depuis longtemps. 

Laurent arriva le premier au guidon de sa bandit 650 qu’il avait achetée d’occasion, faute de moyens. Dans un vrombissement grave et agréable, le carénage de la VFR 800 de Martine pointa son nez. Un instant plus tard, on comptait devant la maison une douzaine de motos : une Ducati monster 821, une Honda 600 cbr, une Yamaha 1300 midnightstar, une  Diavel, une Hayabusa… Un café était prêt à être servi quand d’autres bruits de moteurs annoncèrent les retardataires. 

Ces retrouvailles étaient toujours une joie et puis chacun savait que, la belle saison arrivant, ils allaient bientôt programmer quelques virées comme chaque année. Ils faisaient partie d’un club moto, géré par la belle Isabelle, devenue pilote tardivement mais qui désormais n’avait pas froid aux yeux au guidon de sa machine. Elle  le gérait de main de maître et proposait de magnifiques sorties dans le Verdon, dans le Massif central, en Dordogne… au cours desquelles les amis se retrouvaient et passaient des journées et des soirées inoubliables. A travers cette même passion, la moto, tous avaient le sentiment d’appartenir à une famille où régnait la solidarité.

Bon, c’est pas tout, dit Hervé en reposant sa tasse. Si on y allait !

Autour d’un petit déjeuner, ils avaient évoqué bien des souvenirs : la glissade de Martine sur une plaque d’égout, Jacques  Jacques qui avait perdu les clés de la moto de sa femme Brigitte et qui avait dû retourner chercher un double chez eux, ce qui avait retardé le groupe certes mais avait permis aux autres de passer un bon moment autour d’une table, au soleil, dans le Beaujolais. Le groupe avait vécu tant d’anecdotes, heureusement jamais fatales.

Allez, Hervé a raison. Il est temps de décoller et puis il va y avoir un monde fou aux guichets si l’on tarde trop. En selle ! 

Les pilotes, tous équipés de cuir des épaules aux pieds, mirent en marche les motos et heureux de rouler ensemble, ils prirent la direction du salon de la moto de Lyon. 

Au-dessus des casques, les nuages s’amoncelaient, menaçants. La météo n’avait pourtant rien annoncé de tel. Quelques minutes plus tard, les visières se maculaient des premières gouttes de pluie. 

*

« Caché dans l’entrebâillement d’une porte cochère, l’impitoyable tireur attendait. L’Impitoyable. Il aimait ce surnom que lui avait donné la presse alors que la police ne parvenait pas à l’arrêter. Pourtant il avait déjà un palmarès exceptionnel de victimes et ce soir, il y en aurait une de plus au tableau de ses trophées. L’oeil aux aguets, accoutumé à l’obscurité, il entendit soudain des pas. On approchait. Peut-être était-ce sa victime ! Afin d’être prêt à toute éventualité, il épaula son fusil et visa l’angle d’où surgirait probablement sa  cible. Il restait calme afin d’ajuster son tir. Soudain il ressentit une violente douleur au mollet. De douleur il lâcha aussitôt son arme. 

– Sale bête ! Dégage…

Un roquet teigneux, sorti de nulle part, venait de lui planter ses crocs. L’animal détala sous l’impact du coup de pied qu’il reçut. Devant la porte cochère, la victime tant attendue passa.  L’Impitoyable la dévora du regard et se jeta sur son fusil qui gisait au sol. A ce moment-là… »

– Alors lieutenant, cette communication avec le Préfet, c’est pour aujourd’hui ou pour demain ?

Capitaine, je suis sincèrement désolé mais j’ai eu une secrétaire qui m’a mis en attente et ça dure… 

Et il reprit :

– Allo… allo… mademoiselle… allo… mademoiselle…

Soudain, à bout de patience il hurla :

-MADEMOISELLE, ALLO !

A l’autre bout du fil, la secrétaire du Préfet entendit des sons émanant du combiné qu’elle avait simplement posé sur son bureau afin de pouvoir finir la lecture du passage du polar qu’elle avait commencé. Elle ne voulait pas le  lâcher au moment crucial et elle avait donc mis son interlocuteur en attente. Elle râla intérieurement, contrainte de reprendre l’appareil au moment où l’histoire devenait palpitante.

– Ici le secrétariat du bureau du Préfet. Vous désirez ?

– Enfin… Mademoiselle, cela fait environ 30 minutes que vous me faites attendre et c’est…

– Mais je ne vous permets pas de me parler ainsi monsieur. J’avais des urgences à traiter et je ne pouvais pas faire autrement que de vous faire attendre. 

Au centre de police, le capitaine s’empara alors du combiné.

– Mademoiselle, ici le capitaine de police Georges Refucha. Comme vous l’a rappelé le lieutenant, nous attendons depuis trop longtemps une communication avec le Préfet et si vous ne me mettez pas en relation avec lui immédiatement je vous assure que je débarque dans vos locaux pour savoir pourquoi il nous a fallu attendre aussi longtemps. La situation est urgente, très urgente ! J’ai une invasion à traiter. J’ai bien dit une invasion !

Tout de suite Capitaine, fit la jeune femme qui comprit qu’elle avait exagéré et qu’elle risquait d’en subir les conséquences. 

Pendant ce temps, elle avait pris soin de déposer son roman dans un tiroir de son bureau qu’elle avait refermé. Deux seconde plus tard le Capitaine s’entretenait enfin avec le Préfet auquel il présenta la situation. Il développa ensuite :

– Nous avons une urgence car ceci ne s’est jamais produit à aussi grande échelle.

– Vous voulez donc dire qu’il y a déjà eu des précédents !

– Oui mais pas comme cela. Sur les écrans  de contrôle ça arrive de toutes parts et nous voyons tous ici d’innombrables points colorés.

Je ne comprends pas capitaine. Où est le danger ? 

– Le danger réside dans le nombre inhabituel. Les points observés évoluent d’ordinaire de façon aléatoire, désorganisée. Par ailleurs s’ils sont souvent nombreux  on parvient toujours à les comptabiliser. Or c’est impossible aujourd’hui. Nous assistons à un afflux extrêmement massif. Des masses rouges sont formées, des masses vertes fluorescentes, d’autres argentées… C’est impressionnant et cela prend tant d’ampleur que nous allons très vite être envahis voire débordés. Le risque est majeur monsieur Le Préfet et à l’heure qu’il est nous ne contrôlons plus du tout la situation. Je le répète il s’agit d’une véritable invasion.

Une invasion dites-vous ? Que voulez-vous  alors ?

– Des forces de police supplémentaires à dépêcher immédiatement sur place sinon je ne répondrai plus de rien.

– Y a-t-il déjà des incidents ?

– Nous en avons  observé en effet. 

– Et comment ?

– Nous voyons clairement les masses colorées se déplacer et converger vers le même centre ce qui représente un danger potentiel vous en conviendrez. Ce ne sont pas des centaines mais des milliers de points colorés qui s’affichent sur les ordinateurs et la tendance s’amplifie d’heure en heure. De plus par moments, on voit des points disparaître subitement et ce qu’il y a de pire c’est que cela va aussi en s’accroissant. 

Précisez !

– Au début de notre observation du phénomène les masses étaient parfaitement formées. Puis elles ont muté, comme si on avait fait une coupe dans leurs extrémités. Au début un ou deux points s’effaçaient mais maintenant ils s’effacent pas dizaines, subitement.

– Par dizaines dites-vous ?

– Absolument. Par exemple depuis le début de notre conversation pas moins de 120 points colorés ont disparu et dans un moment je crains qu’il n’y en ait 150. Si je puis me permettre monsieur le Préfet nous perdons un temps précieux à parler. Il faut agir au plus vite car en plus il pleut !

Capitaine, je ne vois pas en quoi la pluie risque d’avoir des conséquences néfastes sur ce phénomène ?

Vous vous trompez ! La pluie va considérablement aggraver la situation.

– Soit ! Je vous envoie des forces supplémentaires et j’attends ensuite que vous me rédigiez un rapport sur l’origine de ce phénomène inexpliqué.

Sauf votre respect monsieur Le Préfet, ce phénomène est exceptionnel mais pas inexpliqué et seuls ceux qui ne connaissent pas le monde des deux roues ne comprennent pas ce qui se passe. 

– Cessez vos allusions et venez-en aux faits ! Je ne comprends rien à votre imbroglio de points colorés, de pluie, d’invasion, de disparition de points sur vos écrans, de phénomène de masse… Il va falloir m’éclairer parce que je commence à en avoir assez. Dites-moi clairement où se situe le danger ?

Le danger est pour la population des motards monsieur Le Préfet !

Ils ont deux roues, un guidon, des routes, un permis de conduire, une signalisation à respecter… et le plus souvent ils se mettent en danger eux-mêmes. Pourquoi les différencier des autres usagers ? Pourquoi les privilégier ?

Il s’avère que je suis aussi motard et que je suis à même de mieux comprendre la situation. Pendant deux jours c’est le salon de la moto et du beau temps était annoncé, ce qui explique qu’ils soient si nombreux de sortie. Les motards se déplacent généralement en bandes, en groupe et ils ont choisi cette année de s’assembler aussi par marques : rouge pour Ducati, vert pour Kawasaki, couleur chrome pour les Harley… C’est l’origine des masses colorées et chaque point est un motard, une individualité mais surtout un être humain. Et cet être humain est en danger car la pluie abondante qui tombe rend la chaussée particulièrement glissante car proche du salon il y a de nombreuses portions faites de pavés. De plus, les effectifs de police et de gendarmerie qui sont déjà sur place précisent que les motards sont victimes de glissades mais aussi du non respect du code de la route par certains automobilistes : clignotants oubliés, rétroviseurs non contrôlés, distances de sécurité non respectées… la liste est très longue. Ce soir ce sera une hécatombe ! 

– Mais pourquoi roulent-ils en masse. C’est interdit ! Le code doit être appliqué ! Sanctionnez-les !

– Ils roulent groupés parce qu’ils n’ont pas le choix. Ils sont trop nombreux et s’ils respectaient scrupuleusement de code de la route en roulant les uns derrière les autres, tous les accès au salon et à la banlieue de l’agglomération  seraient paralysés. Alors là oui nous aurions un épineux problème de circulation à régler.

Je vous autorise donc à verbaliser, à faire des contrôles. Allez-y !

– Je l’entends bien ainsi monsieur Le Préfet mais aujourd’hui ma cible sera l’automobiliste. Le non respect des distances de sécurité si banal ne les exposant qu’à des risques matériels, ils s’en moquent. Le motard lui, en cas de collision risque d’être projeté et c’est sa vie qui est en péril. Pour l’oubli des clignotants c’est pareil. Deux carrosseries froissées ne sont rien à côté d’un pilote fauché qui risque de glisser sous une autre voiture… Vous voyez monsieur Le Préfet, les coupes dont je parlais correspondent à des motards fauchés dans le flot de circulation. Cela ne peut durer. Il faut arrêter le massacre et mieux encore il faudrait enseigner aux candidats au permis de voiture les difficultés auxquelles sont confrontés les deux roues et les risques qu’ils encourent. Car il faut bien l’avouer les automobilistes méconnaissent tout cela et s’ils sont parfois fautifs, ils le sont aussi par manque de sensibilisation !

– Je ne voyais pas ça ainsi mais à bien y réfléchir vous n’avez pas tort. Les forces de police volant aujourd’hui au service de la sécurité des plus vulnérables, des deux roues, j’aime l’idée et médiatiquement parlant c’est original…

*

Hervé, Martine, Laurent, Brigitte, Jean-Jacques et les autres membres du club de moto arrivèrent sans encombres au salon où ils passèrent une belle journée. Ils remarquèrent sur le bord de la chaussée des forces de police dépêchées en nombre qui, pour une fois, n’étaient pas là pour les verbaliser mais pour veiller à leur sécurité, scrutant dans les habitacles les automobilistes afin que ceux-ci respectent les règles les plus élémentaires de la conduite.

*

En quittant son travail ce jour-là, la secrétaire du préfet monta dans sa Nissan. En chemin son téléphone sonna. Son sac à mains était posé à côté d’elle. Elle en extirpa le portable pour prendre l’appel. Aucune vie n’était pourtant en danger. Elle n’était pas urgentiste, elle n’était pas pompier…Pourtant elle répondit. Son mari lui demandait d’acheter du pain. Il avait oublié de le faire. Sa demande ? Une baguette bien dorée, une si  précieuse baguette…

Une baguette pour une vie. Y avait-elle pensé ? Probablement  car on nous répète qu’au volant le téléphone est un danger. Mais confortablement assise dans le siège de sa voiture elle ne put résister à l’envie de décrocher. Etait-il si important de répondre pour échanger de ridicules banalités ?  Les accidents sont pour les autres et puis elle estime qu’elle est prudente ! En face Vincent, un motard, un jeune père et Cécile, une automobiliste. Involontairement la secrétaire fit une embardée, franchissant la chaussée. Vincent l’évita de justesse. Il eut très peur et resterait moralement marqué. Le véhicule de Cécile vint s’encastrer dans un poteau. Pour tous les deux, ce jour-là  fut un jour de chance.  Ils ne surent jamais qu’ils avaient failli perdre la vie pour un peu d’eau et un peu de farine, le tout bien cuit ! 

FIN

A bientôt pour de nouvelles histoires inédites. A partager bien sûr !

Bonne route et V.


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Moyen Age, Raoul de Cambrai suite

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Résumé : Raoul est mort, maudit par sa mère, dame Aalais qui voit en Gautier son second fils. Ce dernier est un chevalier exceptionnel empreint lui aussi du furor guerrier. Le clan voue toujours une haine atavique envers Bernier tenu responsable de tous les malheurs. Aussi Gautier défie-t-il Bernier au combat.

Outre les insultes qui fusent lors du combat « Cuivers bastars »(« gredin de bâtard »), « Fix a putain » (« fils de pute »), lance Gautier. Pui il le frappe avec une telle force qu’il lui tranche l’oreille : « l’orelle emporte, dont trop l’a empirié ». 

Bernier saigne abondamment. Il est mutilé. Gautier l’attaque de nouveau et le trouvère enrichit le texte de précisions propres à impressionner l’auditoire ( c’est-à-dire ceux qui au Moyen Age s’entendent raconter cette histoire) : CCXXXIV « desor l’espaule li fist la char trenchier, desi a l’os li fist le branc fichier » « fist le sanc raier »ce que signifie que Gautier tranche la chair de Bernier de l’épaule jusqu’à l’os et que le sang gicle ». Imaginez un instant à quel point les auditeurs étaient fascinés par tant de violence, de sang et d’ardeur au combat.

Le roi intervient alors et ordonne que l’on sépare les deux chevaliers. Ils sont presque mourants mais comme il s’agit d’hommes exceptionnels, ils supportent leurs blessures et ils se relèveront. Le roi en est heureux et il réclame la paix. Dame Aalais n’accepte pas cette décision royale et elle n’hésite pas à injurier le roi :

CCXXXVII

« Fui de ci, rois, tu aies encombrier !

 Tu ne deüses pas regne justicier !

Se jefuse hom, ains le sollelg couchier

Te mosteroie a l’espee d’acier

Q’a tort ies rois, bien le pues afichier,

celui laises a ta table mengier

Qi ton neveu fist les menbres trenchier. »

ce qui signifie:

« Va-t-en d’ici, mauvais roi et que Dieu te blâme car tu n’es pas digne de régner. Si j’étais un homme, je te montrerai à l’aide de cette épée d’acier et avant le coucher du soleil, que tu n’es pas un souverain de droit divin, que tu te vantes alors que tu autorises celui qui a maltraité ton neveu à manger à ta table ! »

Bernier, pourtant blessé, se livre alors à un jeu presque théâtral puiqu’il se lève, implore dame Aalais, vient baiser ses mains, se jette au sol les bras en croix pour montrer sa piété… Tout ceci pour demander et obtenir la paix. Mais Guerri ne peut accepter cette paix. A bien y songer les chevaliers du Moyen Age n’existent que pour faire la guerre. C’est leur profession. Aussi Guerri ne voulant pas renoncer, il est menacé de malédiction par un abbé présent. « ja la vostre arme n’avera paradis » ce qui veut dire : « jamais votre âme n’ira au paradis ! ». Les hommes du Moyen Age craignent les malédictions. Guerri se ravise.

De là à croire que la guerre va s’arrêter… Non. Contre toute attente, les deux clans, celui de Bernier et celui de Gautier s’associent pour partir en guerre contre le roi cette fois. Ils estiment qu’il agit en traître. Les ennemis deviennent des alliés. Ils montent sur Paris qui est incendié.

Bernier rencontre ensuite dame Béatrice, fille de Guerri. Après bien des hésitations, il accepte de l’épouser ce qui scelle la réconciliation des deux clans. Le texte l’exprime : « car par aus fu la grant guere finee » « car grâce à eux la terrible guerre prit fin ».

Lors d’un combat, Bernier tue Giboin du Mans, ennemi de Raoul. Ainsi la mort de Raoul est enfin vengée et Bernier, en pacificateur qu’il est s’efforce de convaincre chacun de rétablir la paix. Tous acceptent et l’union de Bernier et de Béatrice va pouvoir être célébrée. Oui mais…

C’est sans compter le fait que le roi a placé des espions un peu partout. Il fait enlever Beatrice juste après le mariage, au cours d’une embuscade. Celle-ci se plaint dans une laisse qui évoque la cort amor (l’amour courtois cher au Moyen Age). Elle dit (je résume ici ses paroles de la laisse 273 :

 » Fourrures, je ne veux plus vous porter puisque j’ai perdu le meilleur jeune chevalier de ce monde. Seigneur Bernier vous êtes digne de louanges. Vous étiez courtois et avisé, généreux même. Nos amours ont si peu duré. Que Dieu me le ramène ! »

Elle s’évanouit de douleur mais le roi ne veut pas céder. Il menace même de la livrer à ses écuyers. La reine vient à son secours mais Béatrice reste prisonnière. 

Bernier tend alors une embuscade et libère Beatrice. Le roi s’enfuit, preuve de sa lâcheté. Mais le roi est sauf. Un paix d’apparence va à nouveau être scellée. Puis Bernier part en pèlerinage à Saint Gilles (ermite du VIIIe siècle et port d’embarcation pour les croisades). Là, Bernier est enlevé par les païens tandis que le roi Louis profite de son absence et veut donner Béatrice en mariage à un autre chevalier. (laisse 286).

A suivre et bientôt la fin !

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Lois Lowry, » Le Passeur » (The Giver)

Comment ne pas vous parler aujourd’hui du « Passeur » puisqu’il le film est actuellement sur les écrans de cinéma sous le titre « The Giver » ? 

C’est un livre que j’ai lu il y a longtemps car il est sorti en 1993. Je m’y suis plongée à l’époque par curiosité puis j’ai décidé de le faire lire voire étudier à mes élèves qui l’ont toujours apprécié. Roman d’adolescence certes mais tout aussi divertissant pour les adultes. C’est une oeuvre qui se lit très facilement. 

Quelle n’a pas été ma surprise lorsque j’ai vu qu’on la sortait en version cinématographique. Ni une ni deux, je suis allée la voir au cinéma et mon mari qui avait aimé la lecture du roman m’a accompagnée. 

Bon, ce ne sera pas une surprise si je vous dis que le film « The Giver » est moins intéressant, bien moins intéressant que le livre et qu’il présente bien des différences. Il se laisse voir mais sans plus, manquant de profondeur, empruntant des « déjà vus » – vous repenserez au film beaucoup plus captivant « Divergente » – et puis la fin, cette fin, bâclée, et sans commune mesure avec celle du roman qui laisse une porte ouverte et des doutes. Dans le film « The Giver », le héros parvient à rompre l’isolement de la société dans laquelle il vit en franchissant une « barrière » immatérielle ». On se demande bien comment cela est possible même dans un récit de fiction. C’est un peu trop facile et tout s’arrête par enchantement !!!! Du coup on s’approche du film pour public  jeune alors qu’il semble s’adresser à un public plus mûr. Cherchez la contradiction ! Et je ne m’attarderai pas sur les autres sentiers simplistes empruntés par le film. S’il est à l’affiche, je doute qu’il y reste longtemps…

Le roman quant à lui, pose un problème et invite le lecteur à y réfléchir même si le thème a depuis inspiré bien d’autres romanciers ou d’autres metteurs en scène. Est-il concevable de priver les hommes de leur libre arbitre, de leurs désirs, de les empêcher de percevoir la réalité des choses pour atteindre ce qui ressemble à la paix ? Vous voyez sans doute qu’en écrivant ceci je m’approche encore une fois du film « Divergente » (et je me demande s’il ne serait pas intéressant de créer dans ce blog une page « cinéma » puisque littérature et cinéma sont souvent très proches, la première inspirant souvent le second. Dites-moi dans un commentaire ce que vous en pensez SVP).

L’histoire :

Jonas, le héros, doit assister à la cérémonie en vue d’une attribution de fonction comme tous ceux de son âge dont ses amis. En effet, observés depuis leur plus jeune âge, on détermine pour ces adolescents leur devenir en leur disant quel métier ils exerceront. Chacun se voir attribuer son rôle sauf Jonas voué à devenir « le passeur », mission obscure pour tous ! Il prend contact avec l’ancien passeur qu’il remplacera dans ses fonctions. Il peut désormais se soustraire à certaines obligations, lesquelles s’appliquent pourtant à tout  individu dans son monde. Il pourra mentir et ne devra plus avoir recours à l’injection qui empêche de voir les couleurs et annihile les sentiments. Ainsi, il tombe amoureux de son amie d’enfance, l’invitant à faire de même, et comprend que l’élargissement dont tout le monde parle comme d’un moment de bonheur est finalement une exécution légale. Aussi lorsque le bébé que sa famille a recueilli, Gabriel, doit être élargi parce qu’il n’entre pas dans les normes, Jonas se rebelle (On songe à nouveau à « Divergente », puisque l’héroïne n’a le profil pour aucune faction  et qu’elle va se révolter). De plus la mission de Jonas en tant que passeur est de détenir la mémoire : mémoire d’un passé heureux certes mais aussi celle des guerres et des atrocités dont les hommes sont capables. Bien entendu, il fait le lien avec l’élargissement et comprend que le monde aseptisé dans lequel il vit ne vaut pas mieux que l’ancien. Problème, lui et l’ancien passeur (de mémoire) sont les seuls à le savoir. De fait les dirigeants finissent par voir en eux des ennemis (c’est encore le cas de « Divergente »). Jonas doit sauver Gabriel, celle qu’il aime et ouvrir les yeux à tous les autres. Or ceci dans le roman se passe de façon logique, progressive, c’est une entreprise difficile dont toutes les étapes et leurs embûches sont racontées alors que dans le film « The Giver » tout est trop rapide, inconsistant et finalement bien insipide !

A vous de voir si j’ose dire mais selon moi le livre si « Le Passeur » mérite le détour, pour « The Giver », passez (jeu de mots décidément) votre chemin ! Et n’oubliez pas que je sollicite votre avis pour une rubrique cinéma tout en vous invitant à vous inscrire sur mon blog, à partager, et à « liker ». Merci à vous. 


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Raoul de Cambrai suite (Moyen Age)

Guerri, l’oncle de Raoul, est fou de colère. Il voit en Bernier un « bastars », un bâtard et lui voue une haine féroce. Il entre à nouveau dans le combat prêt à répandre la terreur parmi ses adversaires. Dans la laisse suivante, le trouvère se plaît à mêler le beau et l’horreur en ces termes :

CLXIII

G[ueris] lait corre le destrier de randon,

brandist la hanste, destort le confanon,

et va ferir dant Herber d’Irençon

c’est l’uns des freres, oncles fu B[erneçon].

Grant colp li done sor l’escu au lion

q’i[l] li trancha son ermin peliçon,

demi le foie et demi le poumon :

l’une moitié en chaï el sablon,

l’autre moitiés demora sor l’arçon

mort le trebuche del destrier d’Aragon.

Ce qui signifie :

163

Guerri galope à bride abattue et brandit la hampe de sa lance. Il déploie son gonfanon et frappe Herbert d’Hirson, oncle du jeune Bernier et l’un de ses quatre frères. Il lui assène un coup d’épée si violent sur l’écu orné d’un lion qu’il déchire sa pelisse d’hermine et lui arrache la moitié du foie et la moitié du poumon. Une moitié tombe dans la poussière et l’autre reste sur l’arçon. Le chevalier tombe mort de son destrier d’Aragon.

L’hermine, si précieuse, si belle, douce aussi, qui témoigne de la richesse de celui qui la porte, contraste effectivement avec la description mortifère du jongleur qui parle de foie et de poumon. Les gens du Moyen Age sont fascinés par ces récits qui s’arrêtent tant sur ce qu’ils ne possèdent pas que sur les batailles enragées et l’intérieur des corps car au Moyen Age, l’intérieur des corps relève d’un grand mystère.

Finalement, Guerri doit s’enfuir car ses adversaires, nombreux, ont décidé de l’anéantir puisqu’il fait des ravages parmi les leurs. Il déclare toutefois à Bernier :

« Ja n’avrai goie tant con tu soies vis ! »

qui veut dire :

Je ne serai pas  heureux tant que tu vivras! »

Guerri quitte le champ de bataille accompagné de quarante hommes. Il se retourne avant de quitter les lieux :

« Il esgarda contreval [l]a vaucele,

voit tant vasal traïnant la boeele

toz li plus cointe de rien ne se revele ;

et G[[ueris] pleure, sa main a sa maisele.

R[aoul] en porte, dont li diex renovele.

ce qui signifie :

Il regarda le fond du vallon et vit de nombreux combattants dont les viscères se répandaient. Personne  même parmi ceux d’ordinaire joyeux ne se réjouissait. Guerri, le menton dans sa main, se mit à pleurer. Il emporta ensuite le corps de Raoul et éclata à nouveau en sanglots.

Mettre le menton dans sa main est l’attitude caractéristique de ceux qui sont en proie à la douleur morale, à la perte d’un proche au Moyen Age et, si vous êtes attentifs à certaines tapisseries moyenâgeuses  lorsque vous visitez des musées au des châteaux féodaux, vous retrouverez ces représentations du déchirement intérieur des hommes et non d’un réflexion.

En découvrant son fils mort, dame Aalais regrette bien entendu la malédiction qu’elle avait proférée envers lui mais il est trop tard. Sa plainte occupe des laisses 174 à 180. Elle y déclare son amour pour cet enfant et, comme de coutume au Moyen Age pour exprimer au mieux la douleur, elle s’évanouit à maintes reprises, comme d’autres d’ailleurs. Le trouvère décrit le corps de Raoul ensanglanté, la plaie béante…

Raoul avait lui-même un neveu, Gautier. Aussitôt les obsèques passés, il n’a qu’une idée : venger la mort de son oncle Raoul. La guerre suspendue jusqu’alors reprend, longue, habituelle. Mais Gautier n’est pas encore chevalier. il doit être adoubé. Tout le faste relatif à cette cérémonie jaillit dès la laisse suivante :

CLXXXV

Dame A[alais] corut apariller

chemise et braies et esperons d’or mier,

et riche ermine de paile de qartier.

Les riches armes porterent au mostier ;

la mese escoute[nt] del esvesqe Renier,

 puis aparellent Gautelet le legier?

G[ueris] li sainst le branc forbi d’acier

qi fu R[aoul] le noble guerrier.

Ce qui signifie :

Dame Aalais prépara à la hâte chemise et braies, éperons d’or pur ainsi qu’un manteau de soie écartelé et fourré d’hermine. On apporta de belles armes à l’église et on entendit la messe que chantait l’évêque Renier. Gautier, ce jeune homme ardent, fut ensuite adoubé. Guerri le ceignit par l’épée d’acier poli, celle même qui avait appartenu à Raoul le valeureux guerrier.

Ainsi, à travers Gautier, Aalais voit un nouveau fils qui prendra la place de celui qui l’a trop tôt quittée.

Gautier, chevalier, aux côtés de Guerri, va à son tour réunir des milliers d’hommes pour partir encore une fois à la guerre contre Bernier et tous ceux qui lui sont liés. Le feu de la guerre est rallumé.

La suite prochainement


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Raymond Khoury, « Le Dernier templier »

Raymond Khoury, Le Dernier templier.

Je conseille vivement la lecture de ce roman captivant. Pas une ligne ne vous laissera indifférent. Cette lecture est un pur régal !

Certes, il a été adapté au cinéma et encore assez récemment une chaîne de télévision française a diffusé « Le Dernier templier »  que je me suis empressée de regarder, déjà passionnée par le roman.

Film sympathique mais décevant – c’est si souvent le cas ! – car il y manque des aventures et trop de scènes aux décors splendides imaginés par Raymond Khoury se passent dans des lieux plus faciles à filmer et moins coûteux pour le tournage. Quel dommage ! Mais venons-en à l’histoire.

Dès les premières pages vous êtes happés par la narration et pour cause : En plein New York et au grand jour, des cavaliers revêtus tels des templiers surgissent et sèment la terreur dans un musée alors qu’il y a foule. Ils cherchent quelque chose. Dès lors le lecteur s’interroge et veut connaître la suite. L’héroïne, Tess doit se cacher pour leur échapper. Une enquête suit qui va entraîner un agent du FBI et Tess à l’autre bout du monde sur les traces des Croisés. Le Vatican, menacé envoie lui aussi ses hommes. Les intentions de ces derniers ne sont pas toujours louables. Une histoire d’amour se mêle à l’affaire, douce et savamment distillée par l’auteur.

Ainsi, à travers se roman, vous partirez bien loin de vos horizons quotidiens (quoi de mieux pour se délasser – lire aussi mes histoires peut-être !!! -), vous naviguerez sur les mers, débarquerez en des contrées inconnues, fuirez face à la menace, plongerez dans un lac perdu au milieu de nulle part (scène palpitante pourtant supprimée dans le film) pour espérer découvrir ce que vous êtes venu chercher… Le récit fait aussi la part belle à deux temps narratifs : l’un se déroulant à  l’époque actuelle, l’autre en 1200, ce qui ne manquera pas de plaire à toutes celles et ceux qui adorent, comme moi, cette époque, le Moyen Age, les chevaliers, les combats, la chrétienté… Bien entendu les deux époques ont un lien entre elles et peu à peu le lecteur comprend que ce qui s’est passé voilà des siècles est en relation avec la quête des héros. De complots en enquêtes et en rebondissements, vous ne verrez pas le temps passer.

Alors, si vous voulez passer un agréable moment de lecture, si vous souhaitez une évasion totale, si vous avez envie d’oublier vos problèmes ou tout simplement si vous avez envie de lire, n’hésitez pas et, outre mes histoires, lisez ce roman de Raymond Khoury, Le Dernier templier (traduit de l’anglais). Vous le trouverez facilement en éditions « pocket », isbn 978-2-266-17154-0.


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Raoul de Cambrai suite

Raoul est sans pitié même devant les adversaires qui lui demandent la « merci » ce qui signifie qu’ils font appel à sa clémence et attendent son pardon. Mais le furor guerrier est le plus fort et le sang doit couler ce qui correspond à la fascination des auditeurs du Moyen Age auxquels ces histoires donnent à « voir » par l’intermédiaire de la narration.

Puis vient l’affrontement entre Bernier et Raoul. Le combat engagé est féroce et le jongleur se plaît à préciser que Bernier ne doit la vie qu’à Dieu lequel sait que qu’il est dans son bon droit puisque Raoul a fait brûler sa mère. La « main » de Dieu est essentielle au Moyen Age et le perdant est toujours considéré comme celui qui a des torts. L’on considère en cette époque très croyante que Dieu n’aurait jamais permis que le fautif puisse sortir vivant d’un duel judiciaire ou d’un combat de guerre.

CLIV

Et B[ernier] fait son tor par maltalent

Et fier[t] R[aoul] parmi l’eleme luisant

qe flor et pieres en va jus craventant –

trenche la coife del bon hauberc tenant,

en la cervele li fait couler le brant.

Ce qui signifie :

Bernier fit face et frappa un coup qui transperça le heaume brillant de Raoul et fit sauter les fleurs ornementales et les pierres précieuses – il déchira la coiffe de son haubert et l’épée pénétra jusqu’au cerveau.

Raoul vient d’être frappé à mort. Il tombe de son destrier tandis que ses adversaires, les fils d’Herbert expriment leur joie de le voir ainsi. Raoul tente de se relever et toute l’admiration du narrateur se trouve dans les vers suivants qui précisent :

CLV

Par grant vertu trait l’espee d’acier:

qi li veïst amon son branc drecier

Ce qui signifie :

(Raoul)  tira son épée du fourreau avec ardeur – vous auriez dû le voir brandir son épée en l’air !

Assurément chacun admire ce geste de courage de Raoul et les auditeurs du Moyen Age sont stupéfaits de constater combien les chevaliers font preuve de  ténacité et de résistance à la douleur. Ils sont bien sûr magnifiés. Par ailleurs, la violence évoquée est toujours mise en parallèle avec la richesse qui apparaît avec l’évocation des pierres précieuses qui volent lorsque les épées s’abattent sur les armures. Comment ne pas être admiratif devant tant de contrastes, tant de pugnacité, tant de courage ? Le registre pathétique opère alors sa délicieuse alchimie en ce que Bernier se met à pleurer un ami, Raoul, qui a fait de lui un chevalier. Aussi lorsque  les autres réclament que l’on frappe à nouveau Raoul, Bernier vante ses mérites et refuse d’accéder à leur demande. Ernaut se charge alors de la mise à mort :

CLVI

la maistre piere en fist just trebuchier,

trenche la coife de son hauberc doublier,

en la cervele li fist le branc baignier.

Ne li fu sez, ains prist le branc d’acier,

dedens le cors li a fait tout plungier.

Traduction :

Il fit sauter la plus grosse des pierres puis déchira la coiffe de son haubert épais et double. Il lui plongea l’épée dans le cerveau ce qui ne lui suffit pas puisqu’il la retira pour la plonger à travers son corps.

heaume

Puis vient cette phrase : « L’arme s’en part del gentil chevalier ; Damerdiex l’ait, se on l’en doit proier » ce qui signifie : que l’âme du noble chevalier s’envola. Que Dieu la reçoive, voici notre prière.

A ce stade du récit, la guerre pourrait cesser mais il n’en est rien car cette fois c’est Guerri, l’oncle de Raoul qui, fou de rage va vouloir venger la mort de son neveu. Il se rend auprès du corps de Raoul et s’évanouit. Non pas qu’il soit faible mais au Moyen Age, l’évanouissement témoigne de l’amour porté et de la douleur lorsqu’un être cher est emporté. Aussi s’évanouit-on fréquemment, hommes ou femmes. L’évanouissement est l’expression de la peine.

Bien entendu le jongleur se complaît à raconter que Guerri voit la cervelle de Raoul répandue sur ses yeux ce qui le fait enrager. Il demande une trêve, le temps que son neveu soit mis en terre.

Sur le champ de bataille, alors que Guerri vient chercher le corps de Raoul, il voit un autre corps, celui du chevalier Jehan que Raoul a tué. Or, ce guerrier était réputé  pour être le plus grand du royaume de France. Il voit là l’occasion de rendre hommage à Raoul et d’apporter la preuve irréfutable que Raoul était le plus puissant des chevaliers. Aussi je vous livre ce moment d’une rareté exceptionnelle si représentatif de la notion de courage au Moyen Age :

CLX

andeus les oevre a l’espee trenchant,

les cuers en traist, si con trovons lisant.

Sor un ecu a fin or reluisant

les a couchiés por veoir lor samblant :

l’uns fu petiz, ausi con d’un effant ;

et li R[aoul], ce sevent li quqant,

fu asez graindres, por le mien esciant,

qe d’un torel.

[…]

G[ueris] le vit – de duel va larmoiant ;

ces chevaliers en apele plorant.

Traduction :

Guerri leur ouvrit le corps à tous deux avec son épée et il leur ôta le coeur comme le précise le texte. Il dépose ensuite les deux coeurs sur un écu en or magnifique et les examine : l’un était petit comme celui d’un enfant, l’autre était bien plus gros, comme chacun le sait,  que celui d’un taureau. Voyant cela, Guerri éclata en sanglots et en pleurs appela ses chevaliers.

Au Moyen Age le coeur est le siège du courage plus que des émotions. Ainsi, en constant que Raoul, plus petit de taille que Jehan, a un coeur bien plus gros. Il apporte donc la preuve que son neveu, mort au combat, était un chevalier au courage exceptionnel. L’assemblée se lamente et les larmes montrent combien la perte de Raoul est terrible. Guerri ne voudra qu’une chose, se venger.

Si l’oeuvre s’appelle « Raoul de Cambrai », force est de constater qu’ à la laisse 161, le héros éponyme est mort. Il va dès lors céder la place à Bernier dont le jongleur va vanter les exploits.

A bientôt pour découvrir la suite de cette histoire purement médiévale et si palpitante.


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« Raoul de Cambrai », suite de l’histoire médiévale

Dans la laisse précédente, dame Aalais avait maudit son fils Raoul qui refusait d’écouter ses conseils et voulait provoquer la guerre des lignages afin d’obtenir des terres.

Bien sûr aussitôt la malédiction proférée elle le regrette amèrement, craignant qu’elle ne s’accomplisse. Elle se rend dans une église, se prosterne les bras en croix devant le crucifix et dit :

LV

« Glorieus Diex qi en crois fustes mis,

si con c’est voirs q’al jor del venredi

fustes penez qant Longis vos feri,

por pecheors vostre sanc espandi,

ren moi mon filg sain et sauf et gari.

Lasse, dolante, a grant tort l’ai maldi !

Ja l’ai je, lase, si doucement norri !

Se il i muer, bien doit estre gehi,

ce iert mervelle s’au coutel ne m’oci ! « 

Ce qui signifie :

55

Dieu qui fûtes mis en croix, s’il est véridique que le Vendredi vous avez souffert sous le coup de Longin (il s’agit du nom du soldat qui infligea le coup de lance au Christ) et répandu votre sang pour nous qui sommes des pêcheurs, rendez-moi mon fils sain, sauf et entier. Je suis une misérable et j’ai fait une folie en le maudissant alors que je l’ai tendrement élevé. S’il meurt, personne ne peut dire le contraire, seul un miracle m’empêcherait de mettre fin à mes jours, de me tuer d’un coup de couteau. »

Comme vous le voyez, dans la littérature médiévale, on aime les extrêmes tant dans les paroles que dans les actes. Les personnages n’aiment pas le milieu, les positions non tranchées. Aalais maudit son fils ( violence verbale) et le regrette, implorant Dieu de l’écouter, menaçant même de mettre fin à ses jours (violence verbale à nouveau). Vous remarquerez aussi que l’orthographe des mots en ancien français fluctue. En effet, l’orthographe, en tant que graphie, n’est pas encore fixée et les scribes écrivent certains mots d’un façon, puis d’une autre… C’est le cas du mot fils, écrit ici en ancien français « filg » (voir la laisse ci-dessus) et que vous avez déjà vu différemment écrit.

Raoul reste sourd aux conseils de sa mère et part en guerre, donnant l’ordre de tout brûler sur le passage de ses troupes. Comme les chevaliers de cette époque, il est alors sous l’emprise de ce que l’on appelle le « furor guerrier ». Cela signifie qu’il ne se maîtrise plus vraiment, qu’il cherche l’apaisement dans la violence, qu’il est déterminé et incroyablement fort. On affectionne aussi les insultes, au Moyen Age. Rien ne l’arrêtera. Il se rend à Origny.

LXII

« Li quens R[aous] fu molt desmesurez.

« Fil a putain – ce dist li desreez –

je commandai el mostier fust mes trez,

tendus laiens, et li pommiaus doreiz. »

Traduction :

62

Le comte Raoul avait perdu toute sagesse.

« Fils de pute, dit l’insensé, j’ai ordonné que ma tente aux pommeaux dorés soit installée à l’intérieur de l’abbaye ! »

Les paroles de Raoul sont jugées scandaleuses, Guerri le lui fait remarquer. On ne dresse pas sa tente à l’intérieur d’une abbaye. Finalement, la tente est dressée sur l’herbe, à l’extérieur. Mais Raoul ordonne de démolir Origny. Les nonnes évacuent l’abbaye. Parmi elles, Marsent, la mère de Bernier qui est devenu l’ami de Raoul lequel l’a adoubé. Marsent s’adresse à Raoul et implore sa pitié, lui demandant de les épargner. Il accède à sa demande mais certains de ses soldats veulent piller Origny. Deux sont tués et le dernier, sauf, revient auprès de Raoul, disant que les gens d’Origny sont riches, orgueilleux et cruels. Il prétend que les habitants ont mis en pièce les deux soldats. Raoul qui a perdu tout discernement le croit et déclare :

LXVIII

A vois c’escrie : « Ferez, franc chevalier –

je vuel aler Origni pesoier !

Puis q’il me font la guere comencier,

se Diex m’aït, il le comparront chier ! »

Traduction :

68

Raoul s’écria :  » Frappez, nobles chevaliers ! Je veux aller réduire Origny à l’état de ruines. Puisqu’ils m’ont obligé à commencer la guerre, je jure devant Dieu, qu’ils vont le regretter ! »

Ses hommes s’arment, enfilent les hauberts : l’attaque va commencer. Raoul ordonne que l’on mette le feu :

« Baron, touchiés li fu ! » (laisse LXIX)

Même des enfants périssent dans les flammes. Raoul avait pourtant promis à Marsent d’épargner les gens d’Origny. Il renie en cela sa promesse. La ville s’embrase et Raoul va commettre l’irréparable.

Je vous le raconterai une prochaine fois. A bientôt !


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Pierre Bordage, « Ceux qui osent »

PIERRE BORDAGE, « CEUX QUI OSENT »

Voici la dernière partie des aventures de Jean et de Clara.

La guerre, qui  menaçait le pays d’Arcanecout (pays libre et idéal) où s’étaient réfugiés les héros en compagnie de leurs amis, Elan Gris, Elmana et Nadia, est déclarée.  La liberté est à nouveau menacée. Jean et Elan Gris partent au combat, les femmes restent et tentent de survivre. Les vivres manquent et le gouvernement n’a pas  vraiment conscience de ce qu’endure la population affamée, menacée par des bandes peu scrupuleuses. Sur le front, la situation n’est pas meilleure pour Jean et Elan Gris, confrontés à un commandement peu efficace. De plus, l’ennemi est redoutablement armé et les rangs de son armée ne cessent de grossir.  L’issue de la bataille semble une évidence mais personne ne renonce, prêt à lutter pour cette liberté qui leur est chère. Clara, quant à elle, redouble d’ingéniosité pour subsister. Fine observatrice, elle s’aperçoit que leur adversaire est bien plus proche qu’il n’y paraît, menaçant même de les attaquer grâce à un sous-marin qui frôle leurs côtes. Elle tente d’alerter les autorités, en vain.

Clara, comme Jean, pourtant à deux endroits fort éloignés, seront retenus prisonniers et le lecteur craint bien évidemment pour leur vie. Survivront-ils à cette guerre ? Parviendront-ils à se retrouver ? L’issue du roman donne la réponse.

Des trois tomes de ce roman, c’est le deuxième, « Ceux qui rêvent », qui m’a le moins plu. Ce dernier, « Ceux qui osent » est bien plus captivant, comme l’était le premier. Grâce à sa structure puisqu’il s’agit d’un récit épistolier (par lettres). Nous lisons la correspondance échangée entre Jean et Clara qui s’aiment plus que tout et désirent se retrouver. Bien entendu, nous lisons ces lettres en alternance ce qui permet à Pierre Bordage d’assurer ainsi le suspense car lorsqu’une lettre s’achève sur un problème, il faut attendre quelques pages avant d’en connaître la suite, voire l’issue. Cela change aussi des deux premiers romans. Les rebondissements sont nombreux et l’ensemble fort logique dans le déroulement de l’intrigue.

J’espère donc vous avoir convaincu(s) de lire cette trilogie, plaisante, facile à lire, distrayante, qui permet aussi une réflexion sur les comportements humains de décideurs contemporains.

 

 


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Guillaume Musso

Je le sens, je le sais, je vais m’attirer des foudres avec cet article. Sans mauvais jeu de mot j’ai envie de dire « Et après » (c’est justement le titre du premier roman que j’ai lu de cet auteur) !

Musso est très critiqué, très envié, très productif et je renouvelle mon « et après » ?

Le premier roman que j’ai pu lire de Guillaume Musso « Et après » (bon, ça va vous suivez bien), m’a intriguée. Le suspense qui m’est cher était au rendez-vous et je l’avoue, parvenue au milieu du roman j’ai eu envie d’aller lire la fin, trop impatiente de savoir ce qu’il allait advenir des protagonistes de cette histoire. J’ai succombé à mon envie et j’ai lu le dénouement avant, ce qui ne m’a pas empêchée de reprendre ma lecture et de finir le roman. Belle histoire dirai-je, que cet amour déchiré parce que dans le couple dont il est question l’un a, sans le savoir, la capacité de connaître le devenir de ceux qu’il rencontre. Je vous conseille cette lecture, source d’évasion, de rêves  et de larmes pour les plus sensibles. Le film tiré du roman est quant à lui un peu pâle, comme c’est souvent le cas d’ailleurs, mais il se laisse voir, gommant ici et là les reliefs de l’histoire.

Alors pourquoi certains attaquent-ils Guillaume Musso ? Je répondrai dans le désordre :

–  Jalousie. Alors qu’eux-mêmes écrivent sans parvenir à percer. C’est difficile à admettre mais doit-on pour cela rejeter l’écriture des autres ? Pas en ce qui me concerne. Il publie, il a du succès, tant mieux pour lui. Il le mérite puisqu’il suscite les passions.

– Qualité de l’écriture. Il est vrai que l’écriture est relativement simple, pauvre en figures de style (je parle là en professionnelle),… lieux communs…. C’est vrai MAIS au nom de quoi peut-on dire que ses romans sont mauvais ou pauvres ou insignifiants parce qu’ils ne relèvent pas d’une écriture universitaire dotée d’envolées lyriques ou qu’ils boudent la rhétorique cicéronienne ? Ce qu’écrit Guillaume Musso plaît et ce sont ses lecteurs qui, en lisant ses livres dès leur sortie, laquelle est toujours attendue avec impatience, qui en sont la plus belle preuve. Au nom de quoi quelques prétendus érudits ou critiques littéraires s’arrogeraient-ils le droit de jeter ses romans dans la fange quand la population exprime le plaisir qu’elle a a lire ses histoires ? On a le droit d’aimer, de ne pas aimer tel ou tel roman mais pas celui de salir parce que l’on juge l’écriture facile. Qu’est-ce qu’une belle écriture finalement (prochain sujet du bac de philo ???).

– Pas d’engouement pour ses histoires. Soit, il ne faut pas insister dans ce cas et lire autre chose. Certains aiment, d’autres pas et personne ne détient la science exacte de l’écriture. L’alchimie qui fait que tout le monde aime n’existe pas ou s’appelle la tyrannie.

En préparant l’agrégation j’ai dû lire « Les mémoires du Cardinal de Retz » et bien d’autres oeuvres et en les lisant je me disais que puisqu’on me demandait de les travailler, elles seraient susceptibles d’être présentées à des élèves dans les classes et donc que certains avaient jugé de leur qualité… Au secours, au secours, je ne veux pas être lapidée par mes élèves !  Comment leur faire aimer la littérature en leur proposant des oeuvres dignes d’oraisons funèbres, qui tiennent peut-être stylistiquement la route mais qui donnent aussi la nausée (non, pas celle de Sartre !).Je me suis moi-même ennuyée à la lecture de ce supplice et je devrais faire aimer ce livre aux élèves quand j’ai eu envie de le jeter.  Une belle écriture est-elle nécessairement une bonne écriture ?  Je ne nie pas que l’on puisse aimer les mémoires dont je viens de parler et qui ne sont qu’un exemple parmi tant d’autres mais il est encore heureux que « tous les goûts soient dans la nature » et que, par conséquent, l’on puisse détester sans dire pour autant que c’est mauvais.

Je reviens donc aux oeuvres de Guillaume Musso. Vous avez aimé ses premiers romans, vous apprécierez les autres. Certes ils ont des points communs mais vous vous laisserez emporter de la même façon à chaque fois. Vous n’aimez pas Musso, c’est votre droit, vous avez tant d’autres auteurs à votre disposition pour vous satisfaire. Mais ne crachez pas dans la soupe. Il est si facile de cracher dans la soupe des autres quand soi-même on ne se dévoile pas ! Combien de livres ou de films ont été hués par la critique alors qu’ils ont passionné des générations. Il faut laisser au lecteur son plaisir de lire, quelle que soit la source de ce plaisir et quand bien même celui-ci ne repose que sur l’intrigue que certains pourraient trouver convenue.

Vous souhaitez lire des livres de Guillaume Musso, voici quelques titres. Puisez et rêvez :

« Et après », Un couple désormais séparé. Lui rencontre un individu étrange qui va lui apprendre ce qu’il est vraiment et pourquoi il n’est pas mort étant enfant. Il va faire une découverte surprenante et tenter de déjouer la mort qui s’est immiscée dans sa vie . Celle qu’il aime toujours en dépend.

« Sauve-moi », Deux êtres seuls se rencontrent et s’aiment mais elle doit partir. Son avion explose…

 » Que serais-je sans toi »,  Une jeune femme, son père et un amour pour un voleur, une course poursuite.

« Je reviens te chercher », « Parce que je t’aime », « La fille de papier ». Il doit y avoir d’autres titres mais j’ai prêté tant de livres qu’il m’en manque je crois !

Je ne les résume pas tous de crainte de m’égarer car, si je les ai tous lus, il y a longtemps et j’ai oublié certains aspects de l’histoire. Que cela me serve de leçon, d’habitude je fais des synthèses écrites de mes lectures et dans ce cas, probablement emportée par les récits palpitants, je ne l’ai pas fait. Il me semble qu’il me manque un titre notamment, et il s’agit pourtant de l’histoire qui m’a le plus plu. Un homme rencontre son double, le prend pour un fou quand celui-ci le met en garde. Je retrouverai le titre pour vous l’indiquer.

Je n’ai pas lu le dernier Musso « Central Park ». La quatrième de couverture pique ma curiosité. Ce sera une de mes prochaines lectures, je vous en parlerai, c’est promis !

Bonne lecture à vous et n’oubliez  pas non plus de lire mes histoires… juste pour VOUS !

 

 


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Pierre Bordage, « Ceux qui rêvent »

Si vous avez été tenté par le premier tome de « Ceux qui sauront », je me devais de vous parler de la suite, « Ceux qui rêvent »

Dans cette seconde partie, Jean et Clara ont réussi à éviter les pièges qui jalonnaient leur chemin. Ils vivent cachés, certes mais heureux, dans cette France atemporelle où les plus démunis, dont ils font désormais partie, ne peuvent rien. Clara a pourtant renoncé au luxe de son existence passée, bien décidée à ouvrir les yeux. Et, pour comprendre le lien avec « Ceux qui sauront »,je dirai que tous deux savent désormais que le bonheur ne réside pas dans l’argent, ni dans le fait de fermer les yeux et pour Jean, il repose aussi sur le savoir, savoir dont lui et les siens ont toujours été privés. Il est si facile de diriger de main de maître un pays en refusant l’accès à la connaissance au peuple !
Cependant, le père de Clara, un homme riche extrêmement puissant n’a pas renoncé à rechercher sa fille. Aussi la fait-il enlever, non pour la soustraire à un péril, mais pour la marier à un individu méprisable mais influent, Alfred Maxandeau. Elle se retrouve donc de l’autre côté de l’Atlantique, prisonnière, dans un des cinq royaumes qui couvrent ce que nous appelons les Etats-Unis. Là, les esclavagistes sévissent.
Mais Jean, ne renonçant jamais, se met en quête de celle qu’il aime afin de la soustraire aux griffes de son despostique futur époux. Il va rencontrer en chemin un personnage capital, Elan Gris, un Indien que l’on retrouvera en sa compagnie dans la troisième et dernière partie du roman.
Le salut de ces deshérités semble possible s’ils gagnent le pays de l’Arcanecout, pays libre où chacun peut retrouvrer l’espoir…

Bien entendu, je ne vous ai pas révélé toutes les particularités du récit de Pierre Bordage, ni la fin. Les aventures du jeune couple se suivent avec facilité et le mystère comme le suspense invitent à poursuivre la lecture pour savoir si Jean et Clara vont se retrouver, s’ils vont pouvoir être heureux. Le titre, « Ceux qui rêvent », se justifie par la perspective de l’Arcanecout. Ce pays n’est-il qu’un rêve ou permettra-t-il à leurs espoirs de voir enfin le jour ?

J’ai aimé lire le second tome mais un peu moins que le premier. Les chapitres consacrés à l’Indien m’ont moins intéressée, je les trouve moins palpitants, moins mystérieux. Toutefois, ayant lu le troisième tome dans lequel, Elan-Gris joue un rôle prépondérant, j’avoue qu’il était impossible de contourner ce personnage dans le tome 2. (Le tome 3 est divin de plaisir mais je vous en parlerai la prochaine fois).

Je vous recommande donc ce livre, seconde partie des aventures de Jean et Clara, « Ceux qui rêvent ». Sa lecture vous procurera certainement détente, plaisir et piquera votre curiosité. Comme moi et grâce à Pierre Bordage qui maintient le suspense, vous aurez envie, que dis-je, vous voudrez absolument lire la dernière partie : « Ceux qui osent ».

Bonne lecture à tous !


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Traduction du texte en ancien français

Voici la traduction de la laisse 49 (on appelle laisse(s) les « strophes » qui correspondent à des passages de l’histoire racontée). Elle est suivie d’un résumé de l’histoire de « Raoul de Cambrai » et d’explications.

Bonne lecture !

49

 

« Raoul mon cher fils, dit la belle dame Aalais. je t’ai nourri de mon lait. Pourquoi laisses-tu ainsi la douleur entrer au plus profond de ma poitrine ? Celui qui te donna Péronne et Péronelle, Ham et Roie et la ville de Nesle t’a condamné mon fils à mourir très bientôt. Pour lutter contre de tels adversaires, il faut avoir un harnais, une selle magnifique et d’excellents compagnons. En ce qui me concerne, je préférerais plutôt n’être qu’une servante ou bien une nonne dans une chapelle que de te voir partir. Toute ma terre sera la proie des flammes.  »

Raoul prit son menton dans sa main ( ce geste est important au Moyen Age, comme le précise Ph. Ménard, médiéviste. Il signifie que l’individu souffre, qu’il est tourmenté.). Il jura devant Dieu qui naquit de la Vierge que pour tout l’or de Tulède, il ne renoncerait pas au don qu’on lui a fait. Avant ce renoncement il fera sortir les viscères et répandra maintes cervelles.

 

Résumé rapide de « Raoul de Cambrai », chanson de geste anonyme du Moyen Age.

Le père de Raoul meurt alors que son fils est un enfant. Le roi Louis accorde  les fiefs du défunt à Giboin du Mans à condition que ce dernier ne déshérite pas Raoul de ses terres lorsqu’il sera grand. Les barons protestent mais le roi ne revient pas sur sa parole. L’oncle de Raoul, Guerri élève désormais l’enfant aux côtés de dame Aalais, sa mère.

Raoul,  devient un chevalier particulièrement fort au combat grâce à l’enseignement de son oncle Guerri. Il se lie d’amitié pour un jeune homme, Bernier. Le roi Louis adoube Raoul et ce dernier fait de même pour Bernier qui devient son vassal. Cependant, Guerri se rend chez le roi afin de réclamer les terres de Raoul jadis cédées à Giboin qui ne veut plus les rendre. Louis refuse de les restituer à Raoul. Il va donc les réclamer en personne au roi en ces termes :

XXXIII

« Drois empereres, par le cors saint Amant,

servi vos ai par mes armes portant ;

ne m’en donnastes le montant d’un bezant.

Viax de ma terre car me rendez le gant,

si con la tint mes pere(s) au cors vaillant. »

Traduction :

33

« Mon juste roi, sur les reliques de saint Amand, j’ai mis mes armes à votre service mais pour me récompenser vous ne m’avez même pas donné la valeur d’un besant. Rendez-moi au moins par le don de votre gant, la terre que mon vaillant père possédait. »

 

Reprise du résumé :

Le roi refuse de restituer les terres à Raoul. Guerri, qui est présent, interpelle le roi qui refuse toujours de se rétracter. Guerri menace alors Giboin de reprendre les terres de son neveu par les armes. Le roi promet alors que Raoul reprendra ses domaines à la mort du premier comte entre Loire et Rhin. Le calme revient. Mais quelques temps plus tard, Raoul apprend la mort du comte Herbert. Il monte donc à Paris accompagné de puissants chevaliers, ses garants,  pour exiger le don royal promis. Le roi refuse car le comte avait quatre fils qu’il ne veut pas déshériter. Il renie en cela sa promesse. Les chevaliers rappellent le roi à son engagement. Il finit par céder. Bernier intervient alors auprès de Raoul pour lui signifier qu’il commet une injustice, qu’il ne peut pas accepter ces terres du roi en les prenant aux quatre fils du comte Herbert. Raoul ne veut rien entendre. Il retrouve sa mère qui craint alors qu’une guerre n’éclate entre son fils et ceux du comte Herbert (voir la laisse 49 que je vous ai traduite plus haut). Elle le conseille :

LIV

« Biax fix R[aous], un consel vos reqier,

q’a fis H[erbert] vos faites apaisier

et de la guere acorder et paier.

Laisse lor terr[e], il t’en aront plus chier,

si t’aideront t’autre gu[e]re a bailler

et le Mancel del païs a chacier. »

Traduction :

54

Mon fils, écoute mon conseil. Fais la paix avec les fils d’Herbert, accepte un accord et une compensation pour éviter la guerre. En renonçant à leur fief, ils auront plus d’amitié pour toi et ils t’aideront à chasser Giboin du Mans de tes terres. C’est cette guerre que tu dois mener.

 

Reprise du résumé.

Comme souvent dans les chansons de geste,  le calme de l’un, ici la mère, s’oppose à une colère immense de l’autre, là Raoul. II rejette les conseils de dame Aalais qui finit par lui dire ces paroles lourdes de sens en ce qu’elle sont une malédiction :

LIV

 » Cil Damerdiex qi tout a jugier

ne t’en remaint sain ne sauf ne entier ! »

par cel maldit ot il tel destorbier,

con vos orez, de la teste trenchier !

Traduction :

54

« Que le Seigneur Dieu qui nous juge ne te ramène pas auprès de moi sain et sauf ni entier ! » Cette malédiction lui porta malheur, comme vous allez l’entendre. Raoul eut la tête tranchée.

 

Commentaire :

J’espère qu’à ce stade du résumé et des traductions vous commencez, chers lecteurs, à cerner l’intérêt de ces histoires médiévales et plus particulièrement de ces chansons de geste (je vous expliquerai pourquoi on les appelle chansons de geste une autre fois).

Ces histoires sont fantastiques, empreintes d’une violence exacerbée et hyperbolique qui a probablement inspiré les romans et le cinéma actuels. Les malédictions, les injustices fusent et parfois le merveilleux pénètre leurs textes. Ces histoires regorgent d’action si chère aux lecteurs contemporains.

Vous l’avez compris la guerre va avoir lieu entre Raoul et les fils du comte Herbert et bien d’autres combats encore. Peut-être êtes-vous étonnés d’avoir lu  « comme vous allez l’entendre » dans la traduction juste au-dessus. En effet, n’oubliez pas que les gens, au Moyen Age, ne savent pas lire pour la plupart. Ces récits leur sont alors dits, récités en place publique et ils les écoutent. Ils ont besoin d’être émerveillés, surpris. On leur annonce alors ce qui va se passer (Raoul eut la tête tranchée), même si l’histoire n’évolue pas vraiment ainsi. Ils viendront dès lors, plus tard, écouter la suite du récit pour savoir ce que devient Raoul et comment il perd la vie.

 

Vous aussi, chers lecteurs, je vous raconte la suite très prochainement, en espérant vous avoir intéressés et vous avoir fait découvrir l’univers littéraire médiéval tel qu’il est vraiment alors que les festivals, les manifestations estivales déforment souvent ce Moyen Age pourtant naturellement si passionnant.

 

 


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Connaître l’auteur

Bonjour,

Des lecteurs ont exprimé le désir d’en savoir plus sur l’auteur. Soit, je vais me dévoiler… un peu.

Comme Obélix, je suis tombée fort jeune dans le monde de la littérature. A 12 ans j’écrivais mon premier roman non publié : « Patricia et les fantômes de la trappe secrète ». C’est drôle de voir comment j’écrivais (au véritable sens du terme) à l’époque. Bien sûr je lisais « Alice » et je m’évadais avec elle ! Mais j’avoue que le premier livre qui m’a marquée et dont je me souviens encore est « OUI OUI ». Magique ! Quelles images, quelles couleurs pour mon univers d’enfant que je trouvais triste et terne !

Je ne vais pas entrer dans les détails ou évoquer toutes les étapesde ma vie mais aujourd’hui je suis enseignante en littérature française (vous voyez, rien d’original) et je suis titulaire d’un Doctorat de littérature médiévale française. J’aime mon métier et les élèves pourtant difficiles qui me sont confiés me le rendent bien. Je crois que je réussis à leur faire aimer (pas à tous, je n’ai pas de baguette magique !) la langue française, le lecture et que je leur fais comprendre que c’est une façon extrêmement riche de s’évader librement.

Je suis déjà l’auteur de publications papier dans mon domaine de spécialité : la littérature médiévale et plus particulièrement les chansons de geste (ce qui signifie récit d’exploits, l’ancêtre du roman en somme) des XIIème et XIIIème siècles. J’évoquerai ces publications ultérieurement pour ceux qui voudraient les consulter.

Voilà pour le moment ! J’en ai assez dit! Je vous parlerai donc de mes passions et de bien d’autres choses plus tard.

Audrey.