Comme je le fais souvent et parce que les écrivains sont très souvent des lecteurs assidus, j’ai lu pour moi et donc pour vous VERTIGE de F. Thilliez.
En fait j’ai découvert cet auteur à cette occasion et ce qui a fait que je me suis tournée vers lui, c’est l’engouement que manifestaient certains lecteurs devant son oeuvre. J’ai donc acheté VERTIGE et d’autres titres puisqu’en général je parcours toutes les oeuvres d’un auteur afin de me faire une idée plus précise sur ses écrits.
J’avoue avoir été happée par l’incipit du livre ( je l’étais déjà par la 4ème de couverture) et je savais à quoi m’attendre.
Des hommes se retrouvent enfermés dans une grotte gelée pour une raison qu’ils ignorent. Ils se réveillent l’un après l’autre et s’interrogent sur leur conditions de détention car ils sont prisonniers. Aucun d’eux ne sait qui les a conduits là ni pourquoi. Apparemment, ils n’ont aucun lien. Auprès d’eux, une tente, deux paires de chaussures et de chaussettes, deux couvertures… Quand on est 3 cela pose bien évidemment problème et le partage s’impose tandis que la lutte contre soi-même, face à l’intensité du froid, les pousserait plutôt vers l’égoïsme et la préservation. Un chien est également présent, compagnon d’un des détenus. Un réchaud, une flamme, quelques provisions mais ils comprennent très vite qu’ils ne tiendront pas longtemps ainsi. La violence s’impose à eux comme moyen de survivre, la compassion aussi parfois.
Les 3 individus ne sont pas soumis au même sort. L’un est attaché à une chaîne par la cheville, l’autre par le poignet et le troisième est libre mais porteur d’un masque de fer et d’un système susceptible d’exploser s’il décidait de s’éloigner de la grotte. Dès lors, il s’agit pour eux de survivre !
Une inscription les interpelle aussi : « Qui sera le menteur ? Qui sera le voleur ? Qui sera le tueur ? » Mystère et suspense sont présents qui poussent à lire la suite.
Petit à petit, on en sait plus sur eux : qui ils sont dans la « vraie » vie, quelles étaient leurs passions, quels problèmes ils rencontraient ? Certains cachent aux autres la vérité et le lecteur comprend inéluctablement qu’ils ne sont pas ici ensemble par hasard, qu’ils ont quelque chose en commun et le chien n’y est pas étranger.
Je ne veux pas vous gâcher la lecture de ce livre, aussi je n’en dirais pas plus si ce n’est que :
j’ai rapidement compris, trop vite à mon goût, qui était sous ce stratagème et la fin m’a démontré que j’avais vu juste. Je suis donc un peu déçue surtout quand je vois que certains éditeurs recalent des livres pour ce même motif. J’avoue que je ne comprends pas mais tant mieux si le succès était au rendez-vous pour l’auteur;
le livre est prenant, c’est vrai, à cause de l’intrigue et des nombreux rebondissements qui jalonnent le livre. Mais… je m’en suis lassée avec un sentiment que l’intrigue traînait ;
J’ai donc posé le livre plusieurs semaines avant de me décider à le terminer ;
La violence, parfois gratuite, voire la torture évoquée m’a dérangée. Je trouve en effet facile de faire trembler le lecteur avec l’hémoglobine, plus difficile de piquer sa curiosité par la seule intrigue. Mais c’est la griffe de cet auteur. Certains apprécient, je n’ai pas à juger. Par contre je me suis sentie mal à l’aise tandis que l’histoire piétinait.
La fin m’a déçue, je vous l’ai dit, je m’y attendais et puis je l’ai trouvé bâclée. Une sorte de « il fallait terminer le livre » et qu’importe si la banalité est évoquée. Je me répète, si le livre vous plaît ou vous a plu, tant mieux, je ne donne que mon avis.
Par conséquent, à vous de voir si vous voulez lire VERTIGE. Mais en ce qui me concerne, je m’arrêterai là pour les oeuvres de THilliez. Toutefois, je le répète, vous pouvez très bien trouver votre bonheur à la lecture de ce livre. Tout dépend ce que vous cherchez.
Bonne lecture,
Lisez en page d’accueil les résumés de mes livres et laissez-vous séduire § Enfin je vous prépare une nouvelle histoire courte qui sera bientôt publiée.
Je rappelle enfin la sortie de mon dernier roman, un thriller policier, LA MURAILLE DES ÂMES, Audrey Degal, que vous pouvez vous procurer partout, même à l’étanger ou en cliquant ici :Pour commander « La Muraille des âmes » CLIQUEZ ICI
« Tous les silences ne font pas le même bruit », Baptiste Beaulieu.
Il était tôt, ce matin-là, quand un camion de chantier s’arrêta sur le parking de la toute nouvelle piscine implantée sur la ville de Brignais. Il s’agissait du centre aquatique intercommunal concernant aussi les villes de Chaponost, Millery, Montagny et Vourles, baptisé « Aquagaron ». Il avait pour vocation de créer un espace de détente privilégié.
Ce serait un espace de détente mais pas au sens où la population l’entendait, pas au sens premier du mot, pas au sens de la quiétude. Le centre aquatique allait se révéler dans une dimension que nul n’aurait jamais imaginée.
Deux ouvriers descendirent du véhicule et l’un d’eux commença à décharger des matériaux : sacs de ciment, parpaings, truelles… L’autre se dirigea vers le bâtiment moderne récemment inauguré mais déjà en activité. Une fois à l’intérieur, il héla un employé qui se trouvait là.
— Bonjour ! Nous venons pour les travaux au niveau des vestiaires.
— Bonjour ! On m’avait prévenu de votre arrivée
— Très bien. Je vais aider mon collègue à approcher le diable. C’est assez lourd !
— Le diable dites-vous ?
Le visage de l’employé venait de se liquéfier.
— Oui, le diable, répéta l’ouvrier surpris de la réaction de son interlocuteur. Enfin le diable, ce chariot à deux roues qui sert à tout, notamment à transporter les chargements très lourds sans se casser le dos. Le diable. Vous comprenez ?
— Oui, oui, je comprends, répondit le néophyte remis de sa frayeur. Allez-y ! Je vous attends.
L’ouvrier s’amusa intérieurement de sa réaction excessive. D’autant que l’homme parut rester absorbé dans ses réflexions.
Il sortit finalement et fit signe au jeune homme d’avancer mais ce dernier ne bougeait pas. Il s’était assis sur le repose pied du camion. Il attendait.
— Qu’est-ce que fait ? Tu n’as pas vu que je t’appelais. Bouge-toi ! On a du boulot !
— Je te rappelle que je ne devais pas être là aujourd’hui. Je ne fais que remplacer Manu.
— Je sais mais tu ne crois pas que je vais faire le travail tout seul. Remplacer Manu signifie que tu dois m’aider. Lève-toi !
L’autre paraissait embarrassé. Il ne bougeait pas, les coudes sur les genoux, la tête baissée comme une élève puni, pris sur le fait.
— Bonté Loris, l’heure tourne et on a d’autres chantiers. Tire le diable, je vais t’aider, fit-il repensant toujours à l’attitude surprenante de l’employé.
— Apparemment tu n’es pas au courant !
— Mais de quoi tu parles ?
Le jeune homme leva les yeux vers lui et, le regard inquiet il ajouta :
— Tu ne sais pas !
— Je ne sais qu’une chose : tu m’énerves ! Nous devrions déjà être en train de travailler !
— Tu n’as pas entendu parler des…
L’employé de mairie qui s’impatientait venait de sortir du bâtiment. Il interrompit leur conversation.
— Messieurs !
Deux visages se tournèrent aussitôt vers lui. Alfred bascula le diable sur ses puissantes roues et commença à le pousser. Il jeta un œil noir à Loris qui comprit qu’il n’avait pas le choix. Il se redressa pour aider son collègue, contraint et forcé.
Un instant plus tard, le réceptionniste invita les deux ouvriers à le suivre. Ils laissèrent les matériaux devant une rampe d’accès extérieure. Ils reviendraient les chercher plus tard.
Par la grande baie vitrée qui donnait sur les bassins, les deux visiteurs purent admirer le complexe sportif. Ils étaient fascinés par l’endroit, presque envoûtés. Il était lumineux, végétalisé et particulièrement agréable. L’infrastructure était une réussite. Les eaux bleues, qui capturaient par endroits la lumière du ciel, étaient une invitation au bien-être.
Mais pour les deux compères, la semaine de travail commençait à peine. Elle serait longue et particulièrement laborieuse.
Ils quittèrent donc le hall d’entrée. Leur hôte les guida à l’étage inférieur, jusque devant une série de portes. Plusieurs vestiaires collectifs réservés aux clubs de natation et aux élèves des établissements scolaires environnants se succédaient. Pour les distinguer on avait octroyé à chacun des couleurs différentes, jaune, vert, bleu, qui correspondaient aux tons du totem de la ville.
— Voilà, nous y sommes ! Quelque chose ne va pas ? ajouta-t-il remarquant que l’un d’eux semblait soucieux.
— Non, s’empressa de rétorquer Alfred. Quelle est la porte concernée ? Ah, il nous faudra aussi une arrivée d’eau.
— Ce n’est pas ce qui manque, ironisa l’employé, mais je vais vous indiquer un point où vous pourrez vous brancher. Tenez, regardez ! Vous voyez là-bas, derrière le poteau orange ? Eh bien vous trouverez un robinet.
Loris, légèrement en retrait, se contentait d’écouter.
— Je vous laisse à présent ! Appelez-moi dès que ce sera fini.
Leur guide tourna les talons et commença à s’éloigner.
— Attendez, vous êtes bien pressé ! Et pour la porte ? demanda Alfred.
L’autre s’arrêta immédiatement, sans songer un instant à revenir sur ses pas. Il semblait à nouveau inquiet et sur le point de prendre la fuite. De loin, il se décida enfin à répondre :
— La porte, oui, bien sûr ! Il s’agit de celle qui porte le numéro 7.
Il la désigna du doigt, sans oser s’avancer.
— On peut entrer pour voir ?
— Voir quoi ? se durcit-il soudain. Il n’y a rien à voir.
— Ne vous fâchez pas monsieur. C’est juste qu’avant de commencer les travaux, nous devons tout de même vérifier la stabilité de l’encadrement, du support et nous avons besoin d’accéder aux deux côtés de la cloison.
— Oui, bien sûr, répondit l’employé toujours à bonne distance..
— Et puis il ne faudrait pas emmurer quelqu’un là-dedans ! plaisanta Alfred afin de détendre l’atmosphère.
À sa mine, l’ouvrier comprit que le réceptionniste n’avait pas apprécié sa remarque. L’homme croisa les bras, tapota du pied le sol carrelé et dit :
— Est-ce que ce sera tout ? Parce que j’ai du travail moi ! Je dois remonter à l’accueil.
Sa réponse cinglante clôtura le débat.
— Dans deux heures le mur sera terminé, affirma Alfred.
— Bon ! À tout à l’heure !
Il fit demi-tour, pressé de remonter. Mais arrivé au bas des marches d’escaliers, il comprit qu’il n’en avait pas fini avec les deux ouvriers.
— Avant de vous sauver, pourriez-vous ouvrir la porte s’il vous plaît ? Elle est fermée à clé.
L’employé de la municipalité s’immobilisa pour la seconde fois, visiblement très agacé. Il sortit un trousseau de la poche de son pantalon, passa en revue plusieurs sésames, sortit la clé concernée de l’anneau qui la retenait. Elle portait le numéro 7.
— Vous n’avez qu’à venir la chercher. Je la laisse là, déclara-t-il avant de gravir les quelques marches à la hâte et de disparaître.
Alfred ne comprenait pas pourquoi son interlocuteur n’avait pas rebroussé chemin pour la leur donner. La clé les attendait sur un petit rebord. Elle brillait légèrement.
— Quel drôle d’hurluberlu ce gars ! Allez zou, va la chercher !
Loris obtempéra et, les mains dans les poches, il revint quelques secondes après avec l’objet.
— Ouvre !
— Pourquoi moi ? intervint le jeune homme.
— Écoute mon p’tit gars. On a déjà perdu suffisamment de temps alors ou tu ouvres cette porte ou je signale au patron ton refus de travailler. Choisis !
Loris regarda la clé qui dormait dans le creux de sa main. Il fixa le petit panneau collé au beau milieu de la porte : vestiaire 7. Il considéra longuement Alfred qui s’imagina un instant qu’il allait lui dire : « C’est toi qui l’auras voulu ! ». Il inséra avec la plus grande délicatesse la clé dans la serrure et, presque solennellement, il la tourna, les yeux rivés sur chaque geste qu’il faisait.
— Allons, dépêche-toi ! On n’a pas que ça à faire !
Lorsqu’il entendit le petit « clic » Loris lâcha la clé et recula précipitamment de plusieurs pas sous les yeux ébahis de son collègue.
— Voilà, c’est fait ! dit-il, en s’écartant davantage, comme si une bête sauvage allait surgir de la pièce.
Dans son for intérieur, Loris aurait voulu détaler mais toute fuite était impossible. Alfred n’avait pas la moindre idée de la peur qu’il ressentait.
La suite de cette histoire, sous peu.
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Alors que son dernier roman vient de sortir, j’ose vous parler de l’avant dernier. Oui, parce que c’est celui que je viens de finir. Et oui c’est encore Musso !
Voyez-vous ses intrigues sont prenantes et je me suis dit « j’en lis encore un ». Et puis, je l’envie, ce monsieur. Non parce qu’il sait écrire, ce qui est un fait, mais parce qu’il est connu et reconnu… Patience Audrey me dis-je, patience !…
Donc Central Park est un roman de 383 pages (mais comparé à mon roman Le Lien) le nombre de pages est identique (c’est une question de police de caractères et de mise en page). Force est de constater que l’on ne s’ennuie pas.
Dès le début de l’intrigue on se demande : « Mais comment sont-ils arrivés là ? ». La quatrième de couverture nous l’annonce pourtant mais il est vrai que deux individus, reliés l’un à l’autre, qui ne savent pas ce qu’ils font enchaînés en ce lieu, qui ont de surcroît des traces de sang sur leurs vêtements et des chiffres gravés à même la peau sur l’avant bras, c’est surprenant ! Et l’on se pique au jeu de piste que mène l’héroïne, officier de police.
Les analepses rhétoriques (retours en arrière) sont les bienvenues pour expliquer le passé de celle que nous prenons en affection, Alice. Les pointes de mystère sont aussi présentes avec le second personnage, Gabriel, flou, énigmatique, menteur, dont on ne sait si c’est pour la bonne cause ou pour mieux faire tomber Alice dans un piège qui semble l’attendre à chaque chapitre.
Pour couronner le tout, un tueur en série vient jeter le trouble sur nos certitudes et l’on en vient à soupçonner un peu tout le monde : le père d’Alice, son coéquipier de toujours Seymour… Bravo Musso, c’est bien pensé !
L’intrigue emporte donc le lecteur sans aucune difficulté. Au fil des pages vous n’aurez de cesse que de finir le roman pour connaître la vérité, fort bien ficelée par Guillaume Musso, je dois dire. L’enquête est minutieuse, haletante, progressive.
La seule – petite – ombre au tableau réside dans les pages qui précèdent le dénouement qui, s’il est d’une logique implacable, teintée de surcroît d’émotion, m’a quelque peu déçue. En effet, c’est à mon sens, un voile triste, presque sordide que Musso jette sur son histoire, à la manière de son premier roman Et Après. Le lecteur espère, espère encore et toujours mais… l’inespéré ne se produit pas. Mais cela ne tient qu’à moi. J’aurais préféré une fin plus positive, moins dramatique… Je pense d’ailleurs que Musso l’a ressenti ainsi puisqu’il a ajouté un dernier chapitre, lequel atténue le sentiment négatif que j’éprouvais.
En conséquence, je vous recommande la lecture de ce roman Central Park. Vous ne regretterez pas de vous y plonger et vous passerez d’agréables moments.
N’oubliez pas que lire des livres délivre ! Alors lisez Musso ou mes histoires ou mon roman et le recueil de nouvelles que je m’apprête, sous peu, à publier !
Raoul est sans pitié même devant les adversaires qui lui demandent la « merci » ce qui signifie qu’ils font appel à sa clémence et attendent son pardon. Mais le furor guerrier est le plus fort et le sang doit couler ce qui correspond à la fascination des auditeurs du Moyen Age auxquels ces histoires donnent à « voir » par l’intermédiaire de la narration.
Puis vient l’affrontement entre Bernier et Raoul. Le combat engagé est féroce et le jongleur se plaît à préciser que Bernier ne doit la vie qu’à Dieu lequel sait que qu’il est dans son bon droit puisque Raoul a fait brûler sa mère. La « main » de Dieu est essentielle au Moyen Age et le perdant est toujours considéré comme celui qui a des torts. L’on considère en cette époque très croyante que Dieu n’aurait jamais permis que le fautif puisse sortir vivant d’un duel judiciaire ou d’un combat de guerre.
CLIV
Et B[ernier] fait son tor par maltalent
Et fier[t] R[aoul] parmi l’eleme luisant
qe flor et pieres en va jus craventant –
trenche la coife del bon hauberc tenant,
en la cervele li fait couler le brant.
Ce qui signifie :
Bernier fit face et frappa un coup qui transperça le heaume brillant de Raoul et fit sauter les fleurs ornementales et les pierres précieuses – il déchira la coiffe de son haubert et l’épée pénétra jusqu’au cerveau.
Raoul vient d’être frappé à mort. Il tombe de son destrier tandis que ses adversaires, les fils d’Herbert expriment leur joie de le voir ainsi. Raoul tente de se relever et toute l’admiration du narrateur se trouve dans les vers suivants qui précisent :
CLV
Par grant vertu trait l’espee d’acier:
qi li veïst amon son branc drecier
Ce qui signifie :
(Raoul) tira son épée du fourreau avec ardeur – vous auriez dû le voir brandir son épée en l’air !
Assurément chacun admire ce geste de courage de Raoul et les auditeurs du Moyen Age sont stupéfaits de constater combien les chevaliers font preuve de ténacité et de résistance à la douleur. Ils sont bien sûr magnifiés. Par ailleurs, la violence évoquée est toujours mise en parallèle avec la richesse qui apparaît avec l’évocation des pierres précieuses qui volent lorsque les épées s’abattent sur les armures. Comment ne pas être admiratif devant tant de contrastes, tant de pugnacité, tant de courage ? Le registre pathétique opère alors sa délicieuse alchimie en ce que Bernier se met à pleurer un ami, Raoul, qui a fait de lui un chevalier. Aussi lorsque les autres réclament que l’on frappe à nouveau Raoul, Bernier vante ses mérites et refuse d’accéder à leur demande. Ernaut se charge alors de la mise à mort :
CLVI
la maistre piere en fist just trebuchier,
trenche la coife de son hauberc doublier,
en la cervele li fist le branc baignier.
Ne li fu sez, ains prist le branc d’acier,
dedens le cors li a fait tout plungier.
Traduction :
Il fit sauter la plus grosse des pierres puis déchira la coiffe de son haubert épais et double. Il lui plongea l’épée dans le cerveau ce qui ne lui suffit pas puisqu’il la retira pour la plonger à travers son corps.
Puis vient cette phrase : « L’arme s’en part del gentil chevalier ; Damerdiex l’ait, se on l’en doit proier » ce qui signifie : que l’âme du noble chevalier s’envola. Que Dieu la reçoive, voici notre prière.
A ce stade du récit, la guerre pourrait cesser mais il n’en est rien car cette fois c’est Guerri, l’oncle de Raoul qui, fou de rage va vouloir venger la mort de son neveu. Il se rend auprès du corps de Raoul et s’évanouit. Non pas qu’il soit faible mais au Moyen Age, l’évanouissement témoigne de l’amour porté et de la douleur lorsqu’un être cher est emporté. Aussi s’évanouit-on fréquemment, hommes ou femmes. L’évanouissement est l’expression de la peine.
Bien entendu le jongleur se complaît à raconter que Guerri voit la cervelle de Raoul répandue sur ses yeux ce qui le fait enrager. Il demande une trêve, le temps que son neveu soit mis en terre.
Sur le champ de bataille, alors que Guerri vient chercher le corps de Raoul, il voit un autre corps, celui du chevalier Jehan que Raoul a tué. Or, ce guerrier était réputé pour être le plus grand du royaume de France. Il voit là l’occasion de rendre hommage à Raoul et d’apporter la preuve irréfutable que Raoul était le plus puissant des chevaliers. Aussi je vous livre ce moment d’une rareté exceptionnelle si représentatif de la notion de courage au Moyen Age :
CLX
andeus les oevre a l’espee trenchant,
les cuers en traist, si con trovons lisant.
Sor un ecu a fin or reluisant
les a couchiés por veoir lor samblant :
l’uns fu petiz, ausi con d’un effant ;
et li R[aoul], ce sevent li quqant,
fu asez graindres, por le mien esciant,
qe d’un torel.
[…]
G[ueris] le vit – de duel va larmoiant ;
ces chevaliers en apele plorant.
Traduction :
Guerri leur ouvrit le corps à tous deux avec son épée et il leur ôta le coeur comme le précise le texte. Il dépose ensuite les deux coeurs sur un écu en or magnifique et les examine : l’un était petit comme celui d’un enfant, l’autre était bien plus gros, comme chacun le sait, que celui d’un taureau. Voyant cela, Guerri éclata en sanglots et en pleurs appela ses chevaliers.
Au Moyen Age le coeur est le siège du courage plus que des émotions. Ainsi, en constant que Raoul, plus petit de taille que Jehan, a un coeur bien plus gros. Il apporte donc la preuve que son neveu, mort au combat, était un chevalier au courage exceptionnel. L’assemblée se lamente et les larmes montrent combien la perte de Raoul est terrible. Guerri ne voudra qu’une chose, se venger.
Si l’oeuvre s’appelle « Raoul de Cambrai », force est de constater qu’ à la laisse 161, le héros éponyme est mort. Il va dès lors céder la place à Bernier dont le jongleur va vanter les exploits.
A bientôt pour découvrir la suite de cette histoire purement médiévale et si palpitante.
Raoul a donc incendié Origny en dépit de sa promesse faite à la mère de Bernier, Marsent. La laisse évoquant le feu est ses ravages est riche de précisions. En effet, on redoutait le feu au Moyen Age. Il se propageait et les moyens pour lutter étaient dérisoires. Voici ce qu’il est écrit :
LXXI
Li quens R[aous], qi le coraige ot fier,
a fait le feu par les rues fichier.
Ardent ces loges, ci fondent li planchier,
li vin espandent, [s’en flotent] li celie[r],
li bacon ardent, si chieent li lardie[r].
Li sains fait grant feu(r) esforcier :
fiert soi es tors et el maistre cloichier –
les coveretures covint jus trebuchier.
Entre deus murs ot si grant brasier.
Totes cent ardent par molt grant encombrier –
art i Marsens qi fu mere B[ernier],
et Clamados la fille au duc Renier.
Parmi l’arcin les covint a flairier ;
de pitié pleurent li hardi chevalier.
Traduction :
71
Le comte Raoul devint féroce. Il fit mettre le feu dans toutes les rues. Les maisons brûlèrent, les planchers cédèrent, le vin coula tant que les celliers furent inondés, le lard brûla et les garde-manger s’effondrèrent. La graisse aviva le feu et les flammes léchaient les tours et le clocher le plus élevé. Les toitures s’écroulèrent. Entre deux murs, le brasier fut si intense que les religieuses périrent. Cent trouvèrent la mort : Marsent, mère de Bernier et Clamados, fille du duc Renier. L’odeur des corps carbonisés était épouvantable si bien que les hardis chevaliers pleuraient de compassion.
Enfin Bernier qui assiste impuissant à cet épouvantable désastre va avoir une vision d’horreur :
LXXI suite
B[erniers] esgarde dalez un marbre chier ;
la vit sa mere estendue couchier),
sa tenre face (estendue couchier),
sor sa poitrine vit ardoir son sautier.
Traduction :
Bernier regarda : il vit sa mère étendue à terre à côté d’un marbre précieux, son tendre visage noirci et brûlé, son psautier en flammes sur la poitrine.
Assurément c’est un sentiment de vengeance qui naît à ce moment. Bernier comprend que Raoul est cruel. il déclare :
LXXIII
» Diex me laist vivre qe m’en puist vengier ! »
Traduction :
Que Dieu me permette de vivre assez longtemps pour que je puisse me venger !
Raoul, totalement sous l’emprise du furor guerrier que j’ai évoqué plus haut, vient de renier une promesse, de faire de son meilleur ami Bernier, son pire ennemi. Il ne s’arrête pas là, empreint de démesure, il renie même la sainte Eglise en refusant de jeûner un vendredi saint.
Précisions :
Je ne vous raconterai pas toutes les laisses les unes après les autres pour la simple et bonne raison qu’elles se répètent à quelques variantes près. En effet, n’oubliez pas que les gens sont pour la plupart illettrés au Moyen Age et qu’ils connaissent ces histoires parce que des trouvères, sur les places publiques ou dans les châteaux, les racontent, par morceaux (laisses successives). C’est la raison pour laquelle ils déclament les laisses 70 à 80 par exemple et que les laisses 81 à 90 sont presque identiques aux précédentes. En fait, les « auditeurs » de leurs histoires sont parfois partis, faisant place à d’autres qui écoutent la suite, laquelle n’en est pas une mais une répétition quelque peu différente de ce qui a déjà été raconté. Ils n’étaient pas si bêtes, au Moyen age !
Résumé :
Raoul propose une réparation à Bernier offensé. Ce dernier la décline ce qui fait entrer Guerri (oncle de Raoul) dans une colère noire. Bernier s’allie contre Raoul avec les fils d’Ybert dont il est aussi l’enfant mais bâtard ainsi que se plaît à le lui rappeler Raoul. Finalement Guerri aura le dernier mot après maintes tentatives des deux camps pour éviter la guerre. Il déclare que tous doivent se tenir prêts pour la bataille.
Ainsi Raoul se présente à la tête d’une armée de dix mille hommes (il s’agit d’une hyperbole bien entendu). Bernier quant à lui avance avec à ses côtés onze mille hommes. Ceux-ci ne manquent pas de prier avant le combat. L’on est très croyant à cette époque, ne l’oublions pas ! La laisse 121 parle du jongleur, Bertolai, témoin de ces affrontements qui peut de ce fait nous chanter cette histoire (la chanter, en fait la fredonner puisque la population ne sait pas lire, d’où le nom de chanson de geste (geste signifiant exploits chevaleresques et non mouvement (attention aux faux amis)).
La bataille fait rage et les fils de Guerri, Garnier et Renier sont tués. Il faut savoir que dans la littérature médiévale les neveux ont plus d’importance que les fils. En effet, l’on peut toujours douter de sa propre paternité mais un neveu (fils d’une frère ou d’une soeur), l’est obligatoirement, même si l’on doute de son père. C’est la raison pour laquelle Guerri s’il est triste pour la perte de ses fils, l’est bien moins que pour celle de Raoul de Cambrai.
(l’oeuvre figurant ci-dessus provient du château de Blois dont je conseille vivement la visite).
Le combat est un véritable bain de sang. Les hauberts sont transpercés, les destriers fauchés par les épées,les écus frappés… Le texte précise que « La terre est mole, si ot un poi pleü; li [sans] espoisse [le brai et le] palu », ce qui signifie que la terre était molle à cause de la pluie et que le sang versé rendait la boue et le marais encore plus gluants. Songez que les chevaux ne sont pas des chevaux de courses mais qu’ils ressemblent plutôt à des chevaux robustes et lourds afin de pouvoir supporter les cavaliers et leurs armures donc le poids d’un homme plus environ 35 à 40 kilos de fer (haubert…) et une épée qui se manie le plus souvent à deux mains tant elle pèse. Les chevaux s’enlisent donc dans les terres spongieuses.
Raoul est un combattant impitoyable. Il tranche des bras, des jambes à ses ennemis qui sont épouvantés face à lui et à son adresse. Ils n’ont que peu de chances ! Et puis, surgit alors celui qui doit lutter contre Raoul, celui qui a été offensé : Bernier.
C’est leur lutte farouche que je vous raconterai la prochaine fois.
Voici la dernière partie des aventures de Jean et de Clara.
La guerre, qui menaçait le pays d’Arcanecout (pays libre et idéal) où s’étaient réfugiés les héros en compagnie de leurs amis, Elan Gris, Elmana et Nadia, est déclarée. La liberté est à nouveau menacée. Jean et Elan Gris partent au combat, les femmes restent et tentent de survivre. Les vivres manquent et le gouvernement n’a pas vraiment conscience de ce qu’endure la population affamée, menacée par des bandes peu scrupuleuses. Sur le front, la situation n’est pas meilleure pour Jean et Elan Gris, confrontés à un commandement peu efficace. De plus, l’ennemi est redoutablement armé et les rangs de son armée ne cessent de grossir. L’issue de la bataille semble une évidence mais personne ne renonce, prêt à lutter pour cette liberté qui leur est chère. Clara, quant à elle, redouble d’ingéniosité pour subsister. Fine observatrice, elle s’aperçoit que leur adversaire est bien plus proche qu’il n’y paraît, menaçant même de les attaquer grâce à un sous-marin qui frôle leurs côtes. Elle tente d’alerter les autorités, en vain.
Clara, comme Jean, pourtant à deux endroits fort éloignés, seront retenus prisonniers et le lecteur craint bien évidemment pour leur vie. Survivront-ils à cette guerre ? Parviendront-ils à se retrouver ? L’issue du roman donne la réponse.
Des trois tomes de ce roman, c’est le deuxième, « Ceux qui rêvent », qui m’a le moins plu. Ce dernier, « Ceux qui osent » est bien plus captivant, comme l’était le premier. Grâce à sa structure puisqu’il s’agit d’un récit épistolier (par lettres). Nous lisons la correspondance échangée entre Jean et Clara qui s’aiment plus que tout et désirent se retrouver. Bien entendu, nous lisons ces lettres en alternance ce qui permet à Pierre Bordage d’assurer ainsi le suspense car lorsqu’une lettre s’achève sur un problème, il faut attendre quelques pages avant d’en connaître la suite, voire l’issue. Cela change aussi des deux premiers romans. Les rebondissements sont nombreux et l’ensemble fort logique dans le déroulement de l’intrigue.
J’espère donc vous avoir convaincu(s) de lire cette trilogie, plaisante, facile à lire, distrayante, qui permet aussi une réflexion sur les comportements humains de décideurs contemporains.
Si vous avez été tenté par le premier tome de « Ceux qui sauront », je me devais de vous parler de la suite, « Ceux qui rêvent »
Dans cette seconde partie, Jean et Clara ont réussi à éviter les pièges qui jalonnaient leur chemin. Ils vivent cachés, certes mais heureux, dans cette France atemporelle où les plus démunis, dont ils font désormais partie, ne peuvent rien. Clara a pourtant renoncé au luxe de son existence passée, bien décidée à ouvrir les yeux. Et, pour comprendre le lien avec « Ceux qui sauront »,je dirai que tous deux savent désormais que le bonheur ne réside pas dans l’argent, ni dans le fait de fermer les yeux et pour Jean, il repose aussi sur le savoir, savoir dont lui et les siens ont toujours été privés. Il est si facile de diriger de main de maître un pays en refusant l’accès à la connaissance au peuple !
Cependant, le père de Clara, un homme riche extrêmement puissant n’a pas renoncé à rechercher sa fille. Aussi la fait-il enlever, non pour la soustraire à un péril, mais pour la marier à un individu méprisable mais influent, Alfred Maxandeau. Elle se retrouve donc de l’autre côté de l’Atlantique, prisonnière, dans un des cinq royaumes qui couvrent ce que nous appelons les Etats-Unis. Là, les esclavagistes sévissent.
Mais Jean, ne renonçant jamais, se met en quête de celle qu’il aime afin de la soustraire aux griffes de son despostique futur époux. Il va rencontrer en chemin un personnage capital, Elan Gris, un Indien que l’on retrouvera en sa compagnie dans la troisième et dernière partie du roman.
Le salut de ces deshérités semble possible s’ils gagnent le pays de l’Arcanecout, pays libre où chacun peut retrouvrer l’espoir…
Bien entendu, je ne vous ai pas révélé toutes les particularités du récit de Pierre Bordage, ni la fin. Les aventures du jeune couple se suivent avec facilité et le mystère comme le suspense invitent à poursuivre la lecture pour savoir si Jean et Clara vont se retrouver, s’ils vont pouvoir être heureux. Le titre, « Ceux qui rêvent », se justifie par la perspective de l’Arcanecout. Ce pays n’est-il qu’un rêve ou permettra-t-il à leurs espoirs de voir enfin le jour ?
J’ai aimé lire le second tome mais un peu moins que le premier. Les chapitres consacrés à l’Indien m’ont moins intéressée, je les trouve moins palpitants, moins mystérieux. Toutefois, ayant lu le troisième tome dans lequel, Elan-Gris joue un rôle prépondérant, j’avoue qu’il était impossible de contourner ce personnage dans le tome 2. (Le tome 3 est divin de plaisir mais je vous en parlerai la prochaine fois).
Je vous recommande donc ce livre, seconde partie des aventures de Jean et Clara, « Ceux qui rêvent ». Sa lecture vous procurera certainement détente, plaisir et piquera votre curiosité. Comme moi et grâce à Pierre Bordage qui maintient le suspense, vous aurez envie, que dis-je, vous voudrez absolument lire la dernière partie : « Ceux qui osent ».
Voici la traduction de la laisse 49 (on appelle laisse(s) les « strophes » qui correspondent à des passages de l’histoire racontée). Elle est suivie d’un résumé de l’histoire de « Raoul de Cambrai » et d’explications.
Bonne lecture !
49
« Raoul mon cher fils, dit la belle dame Aalais. je t’ai nourri de mon lait. Pourquoi laisses-tu ainsi la douleur entrer au plus profond de ma poitrine ? Celui qui te donna Péronne et Péronelle, Ham et Roie et la ville de Nesle t’a condamné mon fils à mourir très bientôt. Pour lutter contre de tels adversaires, il faut avoir un harnais, une selle magnifique et d’excellents compagnons. En ce qui me concerne, je préférerais plutôt n’être qu’une servante ou bien une nonne dans une chapelle que de te voir partir. Toute ma terre sera la proie des flammes. »
Raoul prit son menton dans sa main ( ce geste est important au Moyen Age, comme le précise Ph. Ménard, médiéviste. Il signifie que l’individu souffre, qu’il est tourmenté.). Il jura devant Dieu qui naquit de la Vierge que pour tout l’or de Tulède, il ne renoncerait pas au don qu’on lui a fait. Avant ce renoncement il fera sortir les viscères et répandra maintes cervelles.
Résumé rapide de « Raoul de Cambrai », chanson de geste anonyme du Moyen Age.
Le père de Raoul meurt alors que son fils est un enfant. Le roi Louis accorde les fiefs du défunt à Giboin du Mans à condition que ce dernier ne déshérite pas Raoul de ses terres lorsqu’il sera grand. Les barons protestent mais le roi ne revient pas sur sa parole. L’oncle de Raoul, Guerri élève désormais l’enfant aux côtés de dame Aalais, sa mère.
Raoul, devient un chevalier particulièrement fort au combat grâce à l’enseignement de son oncle Guerri. Il se lie d’amitié pour un jeune homme, Bernier. Le roi Louis adoube Raoul et ce dernier fait de même pour Bernier qui devient son vassal. Cependant, Guerri se rend chez le roi afin de réclamer les terres de Raoul jadis cédées à Giboin qui ne veut plus les rendre. Louis refuse de les restituer à Raoul. Il va donc les réclamer en personne au roi en ces termes :
XXXIII
« Drois empereres, par le cors saint Amant,
servi vos ai par mes armes portant ;
ne m’en donnastes le montant d’un bezant.
Viax de ma terre car me rendez le gant,
si con la tint mes pere(s) au cors vaillant. »
Traduction :
33
« Mon juste roi, sur les reliques de saint Amand, j’ai mis mes armes à votre service mais pour me récompenser vous ne m’avez même pas donné la valeur d’un besant. Rendez-moi au moins par le don de votre gant, la terre que mon vaillant père possédait. »
Reprise du résumé :
Le roi refuse de restituer les terres à Raoul. Guerri, qui est présent, interpelle le roi qui refuse toujours de se rétracter. Guerri menace alors Giboin de reprendre les terres de son neveu par les armes. Le roi promet alors que Raoul reprendra ses domaines à la mort du premier comte entre Loire et Rhin. Le calme revient. Mais quelques temps plus tard, Raoul apprend la mort du comte Herbert. Il monte donc à Paris accompagné de puissants chevaliers, ses garants, pour exiger le don royal promis. Le roi refuse car le comte avait quatre fils qu’il ne veut pas déshériter. Il renie en cela sa promesse. Les chevaliers rappellent le roi à son engagement. Il finit par céder. Bernier intervient alors auprès de Raoul pour lui signifier qu’il commet une injustice, qu’il ne peut pas accepter ces terres du roi en les prenant aux quatre fils du comte Herbert. Raoul ne veut rien entendre. Il retrouve sa mère qui craint alors qu’une guerre n’éclate entre son fils et ceux du comte Herbert (voir la laisse 49 que je vous ai traduite plus haut). Elle le conseille :
LIV
« Biax fix R[aous], un consel vos reqier,
q’a fis H[erbert] vos faites apaisier
et de la guere acorder et paier.
Laisse lor terr[e], il t’en aront plus chier,
si t’aideront t’autre gu[e]re a bailler
et le Mancel del païs a chacier. »
Traduction :
54
Mon fils, écoute mon conseil. Fais la paix avec les fils d’Herbert, accepte un accord et une compensation pour éviter la guerre. En renonçant à leur fief, ils auront plus d’amitié pour toi et ils t’aideront à chasser Giboin du Mans de tes terres. C’est cette guerre que tu dois mener.
Reprise du résumé.
Comme souvent dans les chansons de geste, le calme de l’un, ici la mère, s’oppose à une colère immense de l’autre, là Raoul. II rejette les conseils de dame Aalais qui finit par lui dire ces paroles lourdes de sens en ce qu’elle sont une malédiction :
LIV
» Cil Damerdiex qi tout a jugier
ne t’en remaint sain ne sauf ne entier ! »
par cel maldit ot il tel destorbier,
con vos orez, de la teste trenchier !
Traduction :
54
« Que le Seigneur Dieu qui nous juge ne te ramène pas auprès de moi sain et sauf ni entier ! » Cette malédiction lui porta malheur, comme vous allez l’entendre. Raoul eut la tête tranchée.
Commentaire :
J’espère qu’à ce stade du résumé et des traductions vous commencez, chers lecteurs, à cerner l’intérêt de ces histoires médiévales et plus particulièrement de ces chansons de geste (je vous expliquerai pourquoi on les appelle chansons de geste une autre fois).
Ces histoires sont fantastiques, empreintes d’une violence exacerbée et hyperbolique qui a probablement inspiré les romans et le cinéma actuels. Les malédictions, les injustices fusent et parfois le merveilleux pénètre leurs textes. Ces histoires regorgent d’action si chère aux lecteurs contemporains.
Vous l’avez compris la guerre va avoir lieu entre Raoul et les fils du comte Herbert et bien d’autres combats encore. Peut-être êtes-vous étonnés d’avoir lu « comme vous allez l’entendre » dans la traduction juste au-dessus. En effet, n’oubliez pas que les gens, au Moyen Age, ne savent pas lire pour la plupart. Ces récits leur sont alors dits, récités en place publique et ils les écoutent. Ils ont besoin d’être émerveillés, surpris. On leur annonce alors ce qui va se passer (Raoul eut la tête tranchée), même si l’histoire n’évolue pas vraiment ainsi. Ils viendront dès lors, plus tard, écouter la suite du récit pour savoir ce que devient Raoul et comment il perd la vie.
Vous aussi, chers lecteurs, je vous raconte la suite très prochainement, en espérant vous avoir intéressés et vous avoir fait découvrir l’univers littéraire médiéval tel qu’il est vraiment alors que les festivals, les manifestations estivales déforment souvent ce Moyen Age pourtant naturellement si passionnant.
Le premier roman dont je souhaite vous parler est celui de Pierre Bordage, « Ceux qui sauront ».
On me l’a offert. Youpi ! Le titre m’a intriguée, piquant ma curiosité : ceux qui sauront quoi ? est la question qui découle immédiatement du titre.
Avant toute chose, ce n’est, a priori, pas un roman pour adultes mais plutôt pour adolescents. Je dirai a priori seulement. Certes les adolescents s’y reconnaîtront et beaucoup de mes élèves à qui j’ai conseillé la lecture l’ont apprécié. Et puis surprise, les adultes se laissent aussi entraîner par une histoire originale dont la narration reste toutefois simple comme la phraséologie. J’ai moi-même vivement apprécié cette lecture, et parmi mes connaissances (adultes donc) d’autres ont adoré le roman.
Entrer dans ce livre c’est assurément avoir envie de dévorer la suite pour savoir ce qu’il advient des ceux personnages principaux que tout oppose. Ils vivent dans un monde fictif qui rappelle pourtant, en bien des points, le nôtre. On y reconnaît en effet des références à notre passé historique français, sans que ces précisions ne viennent alourdir le texte et l’on est en même temps propulsé dans un univers qui n’existe pas. L’analogie s’impose et la critique est sous jacente, riche, perspicace.
Jean appartient à une catégorie sociale si différente de Clara que l’on se demande comment ils pourraient bien se rencontrer. Tous deux vont découvrir et décrypter leur monde, s’apercevant qu’il est profondément injuste quel que soit le milieu auquel ils appartiennent. Le lecteur tremble à chaque fois qu’ils osent entreprendre ce qui est interdit, chaque fois que le danger les guette, chaque fois qu’ils se battent pour être heureux et libres de s’aimer. Le récit rebondit, les certitudes vacillent et l’envie de les aider dans leur quête naît rapidement, durablement. L’on se laisse emporter facilement (peut-être gage d’une qualité moindre diraient certains, mais lecture fluide et dynamique) par les phrases jusqu’à la fin du récit pour comprendre ce qu’ils « sauront ». Car finalement sont-ils « Ceux qui sauront » ?
Vous en dire davantage anéantirait le charme de la lecture. Aussi il vous revient de décider de vous plonger dans ce livre ou pas. Ce qui est certain, c’est qu’avec cette histoire qui comporte deux suites que j’évoquerai plus succinctement, vous voyagerez.
Au cœur de ce Moyen Age que nous imaginons volontiers sordide, sale et violent, il peut être surprenant de constater que la pensée médiévale était en quête d’une expression de la beauté, beauté dont témoignent puissamment ces monuments qui ont su traverser le temps : les églises. L’architecture comme les sculptures sont le reflet d’un désir ardent d’édification et de représentation du beau. Le vitrail dont nous admirons encore aujourd’hui la richesse, outre le détail artistique, n’a de cesse que de s’emparer de la lumière afin de la décliner en de subtiles couleurs qui soulignent l’amour intense du Moyen Age pour la beauté et la lumière, les deux étant souvent intimement liées.
Si l’architecture romane puis gothique évoquent fréquemment la beauté, celle-ci occupe de surcroît une place prépondérante dans la littérature médiévale et vient contredire à nouveau la pensée contemporaine qui se complaît à croire que le Moyen Age était noir, triste et laid. Sans doute exagérons-nous lorsque nous tentons d’imaginer cette période de notre histoire. Le mystère et la méconnaissance qui l’entourent facilitent nos débordements imaginaires. Sans doute aussi les artistes et les poètes médiévaux sombraient-ils aisément dans l’emphase afin d’offrir aux passants ou aux auditeurs de chansons de geste un moment de contemplation, un moment de fascination bien loin du quotidien de l’homme médiéval. Donc, en dépit d’apparences trompeuses, force est de constater que le Moyen Age s’est remarquablement efforcé de rendre un hommage à la beauté.
Bien entendu, la laideur est le corrélat évident de cette beauté et il est fort difficile d’explorer le beau sans parler du laid. Le beau médiéval est associé à l’harmonie, le laid se conçoit comme la négation du beau : est laid ce qui n’est pas beau ! Aussi les gargouilles, incarnations de pierre repoussantes, l’attestent, qui jouissent d’une place privilégiée sur les façades des édifices. Elles semblent prêtes à fondre sur le passant qui de ce fait médite.
La Littérature médiévale et plus précisément les chansons de geste des XIIème et XIIIème siècles dont je vais vous parler s’est bien sûr emparée de ces notions de beau et de laid, les déclinant au cœur d’une intrigue volontiers bercée par une violence fantastique que peu connaissent et que je me propose de vous faire découvrir.
Aussi, dans un premier temps, il me semble nécessaire, cher lecteur, de vous laisser tâtonner un peu avec cette langue du Moyen Age appelée dans ce cas l’ancien français. Comme vous pourrez le constater, elle n’a rien à voir avec ce que « Jacquouille La Fripouille » exprime dans la célèbre comédie « Les Visiteurs ». Je vous laisse lire ce qui suit et tenter de comprendre le passage dont je vous proposerai très rapidement une traduction. Pour vous aider, n’oubliez pas que le Moyen Age est tourné vers Dieu, vers ses rois et que la violence y est omniprésente.
Bonne lecture !
DECOUVERTES DU FRANCAIS DU MOYEN AGE :
XLIX
« Biax fix R[aous], dist A[alais]la bele,
je te norri del lait de ma mamele.
Por qoi me fais dolor soz ma forcele ?
Qi te dona Perone et Peronle
et Ham et Roie et le borc de Neele
revesti toi, biaux fix, de mort novele.
Molt doit avoir riche lorain et cele
et bon barnaige qi vers tel gente revele.
De moi le sai, miex vosisse este ancele,
nonne velee dedens une chapele.
Toute ma terre iert mise en estencele. »
R[aous] tenoit sa main a sa maissele,
et jure Dieu qi fu nez de pucele
q’il nel lairoit por tout l’or de Tudele.
Ains q’il ne [l] lait en iert traite boele
et de maint chief espandue cervele.
Des lecteurs ont exprimé le désir d’en savoir plus sur l’auteur. Soit, je vais me dévoiler… un peu.
Comme Obélix, je suis tombée fort jeune dans le monde de la littérature. A 12 ans j’écrivais mon premier roman non publié : « Patricia et les fantômes de la trappe secrète ». C’est drôle de voir comment j’écrivais (au véritable sens du terme) à l’époque. Bien sûr je lisais « Alice » et je m’évadais avec elle ! Mais j’avoue que le premier livre qui m’a marquée et dont je me souviens encore est « OUI OUI ». Magique ! Quelles images, quelles couleurs pour mon univers d’enfant que je trouvais triste et terne !
Je ne vais pas entrer dans les détails ou évoquer toutes les étapesde ma vie mais aujourd’hui je suis enseignante en littérature française (vous voyez, rien d’original) et je suis titulaire d’un Doctorat de littérature médiévale française. J’aime mon métier et les élèves pourtant difficiles qui me sont confiés me le rendent bien. Je crois que je réussis à leur faire aimer (pas à tous, je n’ai pas de baguette magique !) la langue française, le lecture et que je leur fais comprendre que c’est une façon extrêmement riche de s’évader librement.
Je suis déjà l’auteur de publications papier dans mon domaine de spécialité : la littérature médiévale et plus particulièrement les chansons de geste (ce qui signifie récit d’exploits, l’ancêtre du roman en somme) des XIIème et XIIIème siècles. J’évoquerai ces publications ultérieurement pour ceux qui voudraient les consulter.
Voilà pour le moment ! J’en ai assez dit! Je vous parlerai donc de mes passions et de bien d’autres choses plus tard.