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Raoul de Cambrai suite (Moyen Age)

Guerri, l’oncle de Raoul, est fou de colère. Il voit en Bernier un « bastars », un bâtard et lui voue une haine féroce. Il entre à nouveau dans le combat prêt à répandre la terreur parmi ses adversaires. Dans la laisse suivante, le trouvère se plaît à mêler le beau et l’horreur en ces termes :

CLXIII

G[ueris] lait corre le destrier de randon,

brandist la hanste, destort le confanon,

et va ferir dant Herber d’Irençon

c’est l’uns des freres, oncles fu B[erneçon].

Grant colp li done sor l’escu au lion

q’i[l] li trancha son ermin peliçon,

demi le foie et demi le poumon :

l’une moitié en chaï el sablon,

l’autre moitiés demora sor l’arçon

mort le trebuche del destrier d’Aragon.

Ce qui signifie :

163

Guerri galope à bride abattue et brandit la hampe de sa lance. Il déploie son gonfanon et frappe Herbert d’Hirson, oncle du jeune Bernier et l’un de ses quatre frères. Il lui assène un coup d’épée si violent sur l’écu orné d’un lion qu’il déchire sa pelisse d’hermine et lui arrache la moitié du foie et la moitié du poumon. Une moitié tombe dans la poussière et l’autre reste sur l’arçon. Le chevalier tombe mort de son destrier d’Aragon.

L’hermine, si précieuse, si belle, douce aussi, qui témoigne de la richesse de celui qui la porte, contraste effectivement avec la description mortifère du jongleur qui parle de foie et de poumon. Les gens du Moyen Age sont fascinés par ces récits qui s’arrêtent tant sur ce qu’ils ne possèdent pas que sur les batailles enragées et l’intérieur des corps car au Moyen Age, l’intérieur des corps relève d’un grand mystère.

Finalement, Guerri doit s’enfuir car ses adversaires, nombreux, ont décidé de l’anéantir puisqu’il fait des ravages parmi les leurs. Il déclare toutefois à Bernier :

« Ja n’avrai goie tant con tu soies vis ! »

qui veut dire :

Je ne serai pas  heureux tant que tu vivras! »

Guerri quitte le champ de bataille accompagné de quarante hommes. Il se retourne avant de quitter les lieux :

« Il esgarda contreval [l]a vaucele,

voit tant vasal traïnant la boeele

toz li plus cointe de rien ne se revele ;

et G[[ueris] pleure, sa main a sa maisele.

R[aoul] en porte, dont li diex renovele.

ce qui signifie :

Il regarda le fond du vallon et vit de nombreux combattants dont les viscères se répandaient. Personne  même parmi ceux d’ordinaire joyeux ne se réjouissait. Guerri, le menton dans sa main, se mit à pleurer. Il emporta ensuite le corps de Raoul et éclata à nouveau en sanglots.

Mettre le menton dans sa main est l’attitude caractéristique de ceux qui sont en proie à la douleur morale, à la perte d’un proche au Moyen Age et, si vous êtes attentifs à certaines tapisseries moyenâgeuses  lorsque vous visitez des musées au des châteaux féodaux, vous retrouverez ces représentations du déchirement intérieur des hommes et non d’un réflexion.

En découvrant son fils mort, dame Aalais regrette bien entendu la malédiction qu’elle avait proférée envers lui mais il est trop tard. Sa plainte occupe des laisses 174 à 180. Elle y déclare son amour pour cet enfant et, comme de coutume au Moyen Age pour exprimer au mieux la douleur, elle s’évanouit à maintes reprises, comme d’autres d’ailleurs. Le trouvère décrit le corps de Raoul ensanglanté, la plaie béante…

Raoul avait lui-même un neveu, Gautier. Aussitôt les obsèques passés, il n’a qu’une idée : venger la mort de son oncle Raoul. La guerre suspendue jusqu’alors reprend, longue, habituelle. Mais Gautier n’est pas encore chevalier. il doit être adoubé. Tout le faste relatif à cette cérémonie jaillit dès la laisse suivante :

CLXXXV

Dame A[alais] corut apariller

chemise et braies et esperons d’or mier,

et riche ermine de paile de qartier.

Les riches armes porterent au mostier ;

la mese escoute[nt] del esvesqe Renier,

 puis aparellent Gautelet le legier?

G[ueris] li sainst le branc forbi d’acier

qi fu R[aoul] le noble guerrier.

Ce qui signifie :

Dame Aalais prépara à la hâte chemise et braies, éperons d’or pur ainsi qu’un manteau de soie écartelé et fourré d’hermine. On apporta de belles armes à l’église et on entendit la messe que chantait l’évêque Renier. Gautier, ce jeune homme ardent, fut ensuite adoubé. Guerri le ceignit par l’épée d’acier poli, celle même qui avait appartenu à Raoul le valeureux guerrier.

Ainsi, à travers Gautier, Aalais voit un nouveau fils qui prendra la place de celui qui l’a trop tôt quittée.

Gautier, chevalier, aux côtés de Guerri, va à son tour réunir des milliers d’hommes pour partir encore une fois à la guerre contre Bernier et tous ceux qui lui sont liés. Le feu de la guerre est rallumé.

La suite prochainement

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