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PAR PITIÉ ! … SUITE 4 (Histoire à suspense)

PAR PITIÉ ! … suite 4

Résumé de l’épisode précédent : Ted est en piteux état, Jack se laisse prélever sans broncher, défiant presque les geôliers. Josef discute avec Henri qui lui révèle tout ce qu’il sait de cet endroit. Ses révélations glacent Josef qui a compris que son tour viendra où il sera prélevé pour endurer les pires souffrances. Pourquoi ?

Henri demeure intarissable. On dirait que ça lui fait plaisir de me révéler tout ce qu’il sait. Accumuler ce savoir c’est probablement ce qui lui a permis de tenir, de résister à ce cauchemar. Mais est-ce que ça vaut la peine de tenir, de résister ? Ne vaut-il pas mieux se laisser aller, glisser lentement vers la mort plutôt que de vivre comme des chiens ?

— Je ne sais pas si tu as bien vu Ted. Regarde bien son visage.

Je me concentre sur lui, toujours échoué au milieu de la pièce, comme un bateau à la dérive, coque transpercée qui n’atteindra plus jamais aucune rive. Il est inconscient.

J’ai bien remarqué les incisions sur son corps mais je n’ai pas prêté attention à sa figure. Enfin, figure est un grand mot. Je serais incapable de dire à quoi il ressemble tant elle est tuméfiée. Ils se sont défoulés sur sa tête comme s’ils s’étaient disputé un ballon pour gagner une partie de foot.

Naïvement, je demande à mon encyclopédie sur pattes pourquoi ils l’ont mis dans cet état.

— Ils s’efforcent de le rendre méconnaissable, d’effacer ses traits. Je me souviens qu’au début, quand il était lui aussi le petit nouveau, il était plutôt beau gosse. Mais maintenant… Je crois qu’il y a une raison derrière tout ça.

— Une raison ?

Je veux savoir, je veux comprendre pourquoi nous sommes tous enfermés là tels des rats parmi les rats. Mais connaître l’envers de ce décor lugubre me terrifie, me glace, me liquéfie sur place. Et si savoir était encore pire !

— Bien sûr qu’il y a une bonne raison. J’ai mis du temps avant de piger.

Les yeux exorbités, je l’écoute déballer son savoir :

— Quand ils s’emparent de Jack, ils s’occupent toujours de son cou et de son abdomen. Ted, c’est le visage et de jolies plaies soigneusement réalisées sur tout le corps. Marcel n’a jamais de blessures. Ils lui font avaler des trucs atroces ou respirer du gaz… Pour moi c’est surtout des brûlures et cetera. Il m’a fallu un sacré bout de temps avant de comprendre pourquoi ils faisaient ça, pourquoi les uns subissaient ceci, d’autres cela…

Outre les détails qu’Henri me donne, je remarque qu’il parle bien. Il a dû recevoir une certaine éducation et la perpétuité dont il semble s’être accommodé n’a pas réussi à entamer son éloquence. C’est un gars qui ne devait pas avoir son pareil pour parler aux femmes.

Je raccroche à son récit.

— Un jour – ne me demande pas quand, c’était il y a longtemps – alors qu’ils me traînaient dans le couloir comme un chien galeux au bout d’une laisse, j’ai vu une sorte de plaque en granit, comme une stèle, immense qui occupait tout le mur. Tu te doutes que je suis passé et repassé un bon nombre de fois devant, à chaque fois qu’ils me prélevaient. Et un jour, tout s’est éclairé.

— Tout quoi ? Mais bonté, parle !

J’ai envie de le secouer, pire, de le frapper pour qu’il avoue. 

— Tu ne vas pas aimer !

— Au point où j’en suis…

— Tu l’auras voulu. Sur cette plaque, il y a des noms classés par années, nos noms, parfois nos prénoms et des chiffres à côté.

— Des chiffres ?

— Des chiffres. À côté du mien j’ai pu lire 11, pour Ted il y avait 32, pour Marcel 30… Je n’ai pas pu voir tous les noms mais il y avait des nombres impressionnants : 147, 82, 73…

— Et à quoi ils correspondent selon toi.

— T’as pas encore compris ou tu le fais exprès ?

Je me creuse la tête et je beau réfléchir, je ne vois pas en quoi des nombres peuvent être associés à nos identités. Peut-être qu’inconsciemment mon esprit fait barrage à la vérité, une vérité qui me dépasse et que je refuse d’admettre. 

— Tu ne vas pas me faire croire que t’es un ange et que tu n’as rien à te reprocher. Moi, j’ai fini par élucider le mystère de ma présence. Quand je repense à toutes ces femmes que…

S’il n’achève pas sa phrase, il en a dit assez pour que je comprenne. Henri n’est pas qu’un beau parleur, un dandy, un charmeur. Non ! Et y voir clair me permet d’entrevoir ce qui m’attend. L’épouvante s’empare de moi.

Anéanti, abattu, totalement privé de forces, je m’affaisse d’abord contre le mur puis au sol, les yeux hagards. Je crois que je baigne dans ma propre urine tant je suis terrorisé par tout à l’heure, par demain, par mes futurs rendez-vous avec mes tortionnaires.

J’attendrai quelques jours peut-être, des semaines, comment savoir ? Mais le jour viendra où ils me prélèveront forcément !

Une jour, deux jours,…..douze jours passent et un matin c’est mon tour.

Cher lecteur, je vous en conjure, priez pour moi !

Ils reviennent le lendemain encore et encore, et encore…

Ça ne s’arrêtera donc jamais !

Je suis au-delà de la douleur, je ne suis plus qu’une ombre, je ne suis personne, je suis simplement là. Une odeur nauséabonde rôde autour de mes plaies, de mon corps. Les autres m’évitent. Je suis devenu le nouveau jouet de mes bourreaux et je peux vous dire qu’il s’amusent bien.

Je ne suis plus un homme.

Je ne suis plus rien.

Je suis, c’est tout.

J’existe, hélas.

Incapable de disparaître.

Mourir est un sort trop doux qu’ils ne me réservent pas.

A suivre… LA FIN LA PROCHAINE FOIS. Avez-vous trouvé pourquoi ils sont tous enfermés là ?

Lors de la dernière séance de dédicaces du 17/11/2019, dès l’ouverture, des lecteurs m’attendaient pour se procurer « Le Manuscrit venu d’ailleurs ». Ils ont adoré « La Muraille des âmes » et ne voulaient pas manquer mon dernier roman. Imaginez ma joie, surtout que 2 d’entre eux ont pris mes 3 autres livres aussi. Une dame m’a même dit « J’avais peur que vous ne veniez pas ». Il est vrai que j’étais un peu en retard…

Actualité : mon 4e roman est disponible, LE MANUSCRIT VENU D’AILLEURS, 420 pages.

Vous pouvez  lire la 4e de couverture ainsi que quelques extraits en cliquant sur la PAGE D’ACCUEIL de ce site. Vous trouverez au moins 5 bonnes raisons de l’acheter : plaisir de lire, suspense, Moyen Âge, mystère, rebondissements… tous les ingrédients qui vous tiendront en haleine jusqu’au bout ! 

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Merci de votre fidélité,

AUDREY DEGAL

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PAR PITIÉ ! … SUITE 3 (Histoire à suspense)

PAR PITIÉ ! … suite 3

Résumé de l’épisode précédent : Huis-clos abominable et particulièrement inquiétant. Que leur veulent ces hommes, leurs bourreaux. Ted a été abominablement torturé. Discuter avec les détenus permet d’en savoir un peu plus mais aussi d’avoir encore plus peur, peur d’entendre appeler son nom : Josef. Les tortionnaires jouent à désigner Josef, terrorisé.

 Josef, tu as eu peur, hein. Mais ce n’est pas ton tour. Pas encore !

Et ils s’éloignent, m’abandonnant à mes questions, à mes futures angoisses, celles de la prochaine fois où ils viendront vraiment pour me cueillir, pour me mener à l’abattoir, vivant, pour me prélever, comme disent les autres, ces rats, enfermés-là, comme moi !

Puis le rituel de l’appel recommence. Il résonne :

— Jack, c’est à toi ! Où est-ce que tu te caches ? Allez, sors du noir !

C’est lui, l’élu du jour, le candidat au massacre.

Contrairement à Ted, il se lève, péniblement certes mais, à mon grand étonnement, il précède ses deux bourreaux et les invite même à le suivre. Est-ce de la grandeur d’âme, de l’inconscience, de la soumission, du suicide ? À vous de me le dire !

Il paraît ignorer ce qui l’attend. Je me surprends à m’agiter comme une feuille secouée par un vent invisible mais violent. C’est nerveux et je n’arrive pas à me contrôler. Même mes dents claquent et je me mords la lèvre inférieure. Mince, le sang va attirer les rats, les vrais rats, ceux qui se délectent de notre chair pendant qu’on dort !

J’entends qu’on me parle.

Une ombre est étendue non loin de moi. Je ne l’avais pas remarquée.

— Jack a pété un câble, me dit-elle. Il a totalement décroché.

— Il est devenu fou ?

— Ouais, complètement dingue, confirme l’inconnu. Il faut dire qu’il ne peut plus parler.

— Ah ! Et pourquoi ?

— La dernière fois qu’ils l’ont prélevé, il est revenu avec une balafre qui lui traversait la gorge et une autre qui lui remontait du bas de ventre, jusque-là.

D’un geste, il me montre l’étendue des dégâts.

— Depuis, il est à l’ouest. Mais c’est pas le seul.

— Ah, dis-je persuadé que je viens de tomber sur l’encyclopédie vivante de l’horreur.

Observer et expliquer aux autres ce qu’il remarque, c’est peut-être ce qui aide ce gars à tenir, à survivre dans cette fosse immonde.

— Mate un peu là-bas, le gars complètement à gauche.

Je fronce les sourcils pour essayer de le voir.

— Il s’appelle Anthony.

— Et alors, quelle importance ça a ?

— Aucune mais lui, il déguste à chaque fois qu’ils le prennent et…

Je n’en peux plus d’entendre ça.

— Arrête, tais-toi ! Je ne veux rien savoir. Ferme-la, par pitié ferme-la !

— Toi, tu n’as pas encore été prélevé mais ça viendra, crois-moi !

— Tu ne peux pas te taire !

— Dis-donc, c’est toi qui m’a posé des questions. Je ne suis pas à ta botte et je parle si je veux.

Il a raison. Et puis même si ses révélations sont insupportables, parler me fait du bien et comble le vide de ma détention.

— Je m’appelle Josef. Et toi ?

— Henri. Je suis le plus ancien ici, je crois. En fait c’est Henri Désiré mais tu peux m’appeler juste Henri.

Il me tend sa main pour que je la serre, comme on conclut un pacte avec le diable. Le contact de sa peau est curieux, trop lisse. Il le sait et s’explique aussitôt.

— Ils m’ont brûlé la main, un pied aussi et d’autres partie du corps mais ces temps-ci ils me fichent la paix. Ils ont assez de nouveaux à se mettre sous la dent.

Ce qu’il me dit ne me rassure pas et vous auriez ressenti la même chose à ma place. N’est-ce pas ! Savoir que vous compatissez à ma peine, à ma douleur, que vous priez intérieurement pour que je m’en sorte – car je reste convaincu que c’est le cas, que je sortirai un jour de ce trou à rats – me donne un peu de courage, le courage qui me manquera forcément quand ils me prendront.

— Comment peux-tu supporter ça depuis si longtemps ?

— Parce que je n’ai pas le choix. Et puis j’ai cru comprendre que je suis un cas moins lourd que les autres.

— Moins lourd ! Qu’est-ce que tu veux dire ?

Il prend appui sur ses deux mains, pour se déplacer un peu et s’installer dans une position plus confortable. Qu’est-ce que je dis ? Une position moins inconfortable.

— Ils m’appellent l’escroc et il paraît que je suis un élément de moindre importance pour eux. Je les ai entendus le dire. Par contre les autres sont des cas sérieux. Alors ils trinquent.

Je me surprends à l’envier pour qu’ils m’oublient aussi, qu’ils ne m’appellent jamais mais je suis un nouveau et ils ne me rateront pas. Je me serais bien passé de la réflexion d’Henri mais voilà, il l’a faite, remuant dans une plaie que je n’ai pas encore un couteau que mes bourreaux ne manqueront pas de me planter et de retourner encore et encore dans mes plaies pour que ça fasse bien mal.

— Mais toi, comme tu viens d’arriver…

Inutile de préciser. Je l’ai déduit tout seul, je suis prisonnier, pas idiot !

J’ai presque envie de lui sauter au cou. Non, pas pour l’embrasser ! Il n’est qu’un compagnon d’infortune. J’ai plutôt envie de le tuer pour ce qu’il vient de dire, envie de lui broyer la trachée sous mes doigts. Heureusement qu’il ne lit pas dans mes pensées et qu’il ne sait pas qui je suis vraiment sinon, il tremblerait. Oui, j’ai oublié de vous le dire mais à une époque de ma vie, les gens me craignaient. Epoque révolue !

La peur de souffrir, la peur de l’instant où ils viendront me prélever m’envahit. Un vent de panique me traverse et je voudrais qu’il m’étouffe sur place, que je ne puisse plus respirer et que je meure subitement, comme ça. Je n’aurais plus besoin de trembler, plus besoin de redouter le moment fatidique qui arrivera inexorablement.

La mort ! Ça doit avoir un côté rassurant !

Mais je ne m’étouffe pas. Je respire, je suis vivant, un être vivant qui sait que le moment viendra où ils s’acharneront sur moi. Je me demande si la plus odieuse des tortures ne consiste pas dans le fait de savoir ce qui adviendra. J’ai l’impression que mon cerveau bouillonne à force de ressasser cette peur !

Mon esprit s’efforce de réfléchir, de mettre bout à bout les morceaux d’un puzzle qui ne coïncident pas. Il force les pièces, les tord, pour qu’elles s’assemblent mais elles résistent. Je ne comprends pas pourquoi je suis là !

Je tue le temps. Que pourrais-je faire d’autre ? La faim secoue mes entrailles et la soif revient peu à peu. Je me rends compte que je ne suis qu’une machine qui se résume à peu de choses : manger, boire, dormir, sont des fonctions vitales, celles auxquelles je suis réduit aujourd’hui. Le reste c’est du fard, de la poudre aux yeux : l’amour, l’amitié, ce genre de chose… Dites-moi à quoi ça me servirait maintenant ? À rien ! Je ne suis qu’un organe programmé dès la naissance pour respirer, se maintenir en vie le plus longtemps possible quelles que soient les circonstances. Et dans ces conditions, si je suis résistant, ma vie peut s’éterniser ici, hélas. Comme un épileptique, je me remets à trembler à cette perspective effroyable.

Quelle horreur ! Je n’imagine pas un seul instant que cela soit possible. Rester dans cet endroit à jamais, à leur merci et devenir une plaie putride, comme tous les autres. C’est… c’est… c’est inconcevable et en tout cas au-dessus de mes forces. Je m’égare… Je vais devenir fou.

A suivre…

Actualité : mon 4e roman est disponible, LE MANUSCRIT VENU D’AILLEURS, 420 pages.  Vous pouvez  lire la 4e de couverture ainsi que quelques extraits en cliquant sur la PAGE D’ACCUEIL de ce site. Vous trouverez au moins 5 bonnes raisons de l’acheter : plaisir de lire, suspense, Moyen Âge, mystère, rebondissements… tous les ingrédients qui vous tiendront en haleine jusqu’au bout ! 

Et ce dimanche, je dédicace mes 4 romans à Sainte Foy les Lyon, dans le Rhône, salle ellipse (en face de Calicéo), parking gratuit, entrée gratuite. Pour me trouver, c’est simple. Cherchez AUREY DEGAL. 

Bon week-end et belles lectures !

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AUDREY DEGAL


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Raoul de Cambrai suite

Raoul est sans pitié même devant les adversaires qui lui demandent la « merci » ce qui signifie qu’ils font appel à sa clémence et attendent son pardon. Mais le furor guerrier est le plus fort et le sang doit couler ce qui correspond à la fascination des auditeurs du Moyen Age auxquels ces histoires donnent à « voir » par l’intermédiaire de la narration.

Puis vient l’affrontement entre Bernier et Raoul. Le combat engagé est féroce et le jongleur se plaît à préciser que Bernier ne doit la vie qu’à Dieu lequel sait que qu’il est dans son bon droit puisque Raoul a fait brûler sa mère. La « main » de Dieu est essentielle au Moyen Age et le perdant est toujours considéré comme celui qui a des torts. L’on considère en cette époque très croyante que Dieu n’aurait jamais permis que le fautif puisse sortir vivant d’un duel judiciaire ou d’un combat de guerre.

CLIV

Et B[ernier] fait son tor par maltalent

Et fier[t] R[aoul] parmi l’eleme luisant

qe flor et pieres en va jus craventant –

trenche la coife del bon hauberc tenant,

en la cervele li fait couler le brant.

Ce qui signifie :

Bernier fit face et frappa un coup qui transperça le heaume brillant de Raoul et fit sauter les fleurs ornementales et les pierres précieuses – il déchira la coiffe de son haubert et l’épée pénétra jusqu’au cerveau.

Raoul vient d’être frappé à mort. Il tombe de son destrier tandis que ses adversaires, les fils d’Herbert expriment leur joie de le voir ainsi. Raoul tente de se relever et toute l’admiration du narrateur se trouve dans les vers suivants qui précisent :

CLV

Par grant vertu trait l’espee d’acier:

qi li veïst amon son branc drecier

Ce qui signifie :

(Raoul)  tira son épée du fourreau avec ardeur – vous auriez dû le voir brandir son épée en l’air !

Assurément chacun admire ce geste de courage de Raoul et les auditeurs du Moyen Age sont stupéfaits de constater combien les chevaliers font preuve de  ténacité et de résistance à la douleur. Ils sont bien sûr magnifiés. Par ailleurs, la violence évoquée est toujours mise en parallèle avec la richesse qui apparaît avec l’évocation des pierres précieuses qui volent lorsque les épées s’abattent sur les armures. Comment ne pas être admiratif devant tant de contrastes, tant de pugnacité, tant de courage ? Le registre pathétique opère alors sa délicieuse alchimie en ce que Bernier se met à pleurer un ami, Raoul, qui a fait de lui un chevalier. Aussi lorsque  les autres réclament que l’on frappe à nouveau Raoul, Bernier vante ses mérites et refuse d’accéder à leur demande. Ernaut se charge alors de la mise à mort :

CLVI

la maistre piere en fist just trebuchier,

trenche la coife de son hauberc doublier,

en la cervele li fist le branc baignier.

Ne li fu sez, ains prist le branc d’acier,

dedens le cors li a fait tout plungier.

Traduction :

Il fit sauter la plus grosse des pierres puis déchira la coiffe de son haubert épais et double. Il lui plongea l’épée dans le cerveau ce qui ne lui suffit pas puisqu’il la retira pour la plonger à travers son corps.

heaume

Puis vient cette phrase : « L’arme s’en part del gentil chevalier ; Damerdiex l’ait, se on l’en doit proier » ce qui signifie : que l’âme du noble chevalier s’envola. Que Dieu la reçoive, voici notre prière.

A ce stade du récit, la guerre pourrait cesser mais il n’en est rien car cette fois c’est Guerri, l’oncle de Raoul qui, fou de rage va vouloir venger la mort de son neveu. Il se rend auprès du corps de Raoul et s’évanouit. Non pas qu’il soit faible mais au Moyen Age, l’évanouissement témoigne de l’amour porté et de la douleur lorsqu’un être cher est emporté. Aussi s’évanouit-on fréquemment, hommes ou femmes. L’évanouissement est l’expression de la peine.

Bien entendu le jongleur se complaît à raconter que Guerri voit la cervelle de Raoul répandue sur ses yeux ce qui le fait enrager. Il demande une trêve, le temps que son neveu soit mis en terre.

Sur le champ de bataille, alors que Guerri vient chercher le corps de Raoul, il voit un autre corps, celui du chevalier Jehan que Raoul a tué. Or, ce guerrier était réputé  pour être le plus grand du royaume de France. Il voit là l’occasion de rendre hommage à Raoul et d’apporter la preuve irréfutable que Raoul était le plus puissant des chevaliers. Aussi je vous livre ce moment d’une rareté exceptionnelle si représentatif de la notion de courage au Moyen Age :

CLX

andeus les oevre a l’espee trenchant,

les cuers en traist, si con trovons lisant.

Sor un ecu a fin or reluisant

les a couchiés por veoir lor samblant :

l’uns fu petiz, ausi con d’un effant ;

et li R[aoul], ce sevent li quqant,

fu asez graindres, por le mien esciant,

qe d’un torel.

[…]

G[ueris] le vit – de duel va larmoiant ;

ces chevaliers en apele plorant.

Traduction :

Guerri leur ouvrit le corps à tous deux avec son épée et il leur ôta le coeur comme le précise le texte. Il dépose ensuite les deux coeurs sur un écu en or magnifique et les examine : l’un était petit comme celui d’un enfant, l’autre était bien plus gros, comme chacun le sait,  que celui d’un taureau. Voyant cela, Guerri éclata en sanglots et en pleurs appela ses chevaliers.

Au Moyen Age le coeur est le siège du courage plus que des émotions. Ainsi, en constant que Raoul, plus petit de taille que Jehan, a un coeur bien plus gros. Il apporte donc la preuve que son neveu, mort au combat, était un chevalier au courage exceptionnel. L’assemblée se lamente et les larmes montrent combien la perte de Raoul est terrible. Guerri ne voudra qu’une chose, se venger.

Si l’oeuvre s’appelle « Raoul de Cambrai », force est de constater qu’ à la laisse 161, le héros éponyme est mort. Il va dès lors céder la place à Bernier dont le jongleur va vanter les exploits.

A bientôt pour découvrir la suite de cette histoire purement médiévale et si palpitante.