Résumé de l’épisode précédent : deux femmes, Bénédicte et Maryline, sont amies mais la première même si elle est jolie souffre de la comparaison avec la seconde qui excelle dans tous les domaines et la surpasse. Bénédicte aimerait vivre la vie de Maryline. Autour d’un verre elle suggère cette idée ridicule à son amie qui rit mais accepte de prendre sa place. Après tout, c’est impossible. Elles se séparent mais lorsque Bénédicte regagne sa voiture, elle fait un malaise et s’effondre sur le trottoir.
Un passant accourt et m’aide à me relever.
— Ça va mademoiselle ?
Il sort un mouchoir pour éponger mon front ensanglanté. Comme je suis faible, il propose de me conduire aux urgences ou de me ramener chez moi. Je choisis de lui donner mon adresse. J’espère que je n’aurais pas à le regretter car après tout je ne connais pas cet homme.
Il me demande le code de l’alarme et nous entrons dans mon appartement. Il m’installe sur mon canapé, délicatement, cale un coussin sous ma tête, puis il s’éclipse, comme s’il était chez lui. J’entends la porte du réfrigérateur se refermer et il reparaît, deux verres de jus d’orange frais à la main. Je le remercie et j’en profite pour le regarder. Il est plutôt pas mal.
— Un antalgique peut-être ? propose-t-il.
— Dans l’armoire de la salle de bains.
Quand il revient, il me tend un comprimé de doliprane avant de me prodiguer des soins.
— Ce n’est rien ! dit-il. Comment vous sentez-vous ?
— Ça va, je me remets. Mais vous vous y connaissez ?
— Je suis médecin.
— Ah, je ne pouvais pas mieux tomber.
— Si on peut dire, mais je n’ai rien fait. Le cuir chevelu saigne facilement. N’importe qui aurait pu vous soigner. Vous avez toujours mal à la tête ?
— Non, plus vraiment. Mais j’abuse de votre gentillesse. Vous êtes peut-être pressé !
— Non, répond-il, en plongeant dans mes yeux un regard puissant qui en dit long. Je peux rester si vous voulez !
Au petit matin, pendant qu’il dort encore, je m’enroule dans un drap de bain en sortant de la douche. Mon crâne est encore douloureux et je n’ai pas les idées très claires. Tout me semble étrange. Pendant que nous faisions l’amour tout à l’heure, j’avais l’impression de flotter, de ne pas reconnaître mon lit ni ma chambre mais j’ai été secouée. D’un revers de la main, j’essuie la buée accumulée sur le miroir. Et là, je me regarde comme jamais je ne l’ai fait. J’oriente mon image vers la gauche, vers la droite comme pour vérifier… Mais je n’en ai pas besoin, Nolan qui vient de se lever pour me rejoindre exprime ce qui s’est passé mieux que moi à ma place :
— Bonjour Maryline. Ça a l’air d’aller mieux ce matin.
Eros en personne est appuyé nu contre le chambranle de la porte. Il admire mon corps alors que la serviette qui m’entourait vient de glisser au sol. Il s’approche, se plaque contre moi et m’enlace. Nos visages se frôlent dans le miroir avant que nos corps ne recommencent à s’aimer. Alors qu’il est en moi, mon esprit s’échappe, appelé par une obsession merveilleuse, inimaginable qui pourtant me paraît bien réelle : je suis devenue elle, je l’ai remplacée.
Il me laisse son adresse, son numéro de téléphone et prend le mien. Il me rappellera, c’est certain.
Un café chaud en main, de ma fenêtre, je le regarde s’éloigner. Il m’envoie déjà un SMS : « je n’ai jamais vu une femme si belle. Je crois que je t’aime ! »
Je ne rêve pas. Il fait gris dehors mais ma vie est ensoleillée. Je suis devenue Maryline, je suis chez elle, je m’y sens comme chez moi. Tout semble vrai !
Mon téléphone vibre. Je décroche. C’est elle.
— Je croyais que c’était impossible ! Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Tu regrettes ? Tu es déçue ?
— Non, je suis plutôt perdue. Je suis toi, je suis chez toi, je ne sais pas comment j’y suis arrivée mais je me sens bien. Pour le reste, je n’y comprends rien.
— Moi non plus mais c’est arrivé.
— Et toi, qu’est-ce que ça te fait d’être Maryline ?
— Comme toi, je suis bien, je dirais même extrêmement bien et surtout heureuse.
— Parce que tu ne l’étais pas avant ?
— Si, mais moins.
— Moi, être Bénédicte, ça me convient. Je me sens plus forte, épanouie ! Mais tu crois que ça va durer ?
— Franchement, j’en sais rien. Mais c’est toi-même qui a suggéré hier que ce soit définitif.
— C’est vrai. Bon, je te laisse. Je vais me plonger dans tes dossiers. Enfin dans mes dossiers. On se rappelle !
J’aurais dû me demander pourquoi elle cet échange lui convenait mais je ne l’ai pas fait. J’aurais dû trouver étrange qu’elle soit heureuse d’être moi alors que je l’ai toujours enviée mais je n’y ai pas songé. Je suis retournée dans la salle de bains pour m’enivrer de mon image, de ce corps sublime. Comment aurais-je pu deviner ce que cachait la face polie du miroir ?
*
Seule l’issue de la vie est incertaine. J’ai revu Nolan et me suis nourrie de bonheur le lendemain et les jours suivants. J’ai vécu un rêve, éveillée. Les week-ends improvisés à la montagne, les périples à moto, l’aventure sur son voilier, seule avec lui, et plus que tout l’intensité d’être aimée.
Lorsque je plaide dans des affaires délicates, je suis d’une redoutable efficacité. Tout me paraît plus clair qu’avant, je vais à l’essentiel, on me réclame, on me paye cher, je gagne mes procès. Je suis celle que j’ai toujours voulu être.
Je rencontre parfois Bénédicte étrangement heureuse dans une vie sympathique mais plus simple. Comment ne regrette-t-elle pas ce qu’elle était ? Puis nos rendez-vous se font plus rares jusqu’au jour où…
Un taxi me mène à la clinique car je ne me sens pas très bien. Cela fait des semaines que je suis fatiguée. J’ai l’estomac en vrac, des nausées. J’ai peur. Et si tout s’arrêtait… Si je redevenais celle que j’étais que je finalement je détestais. Je perdrais Nolan…
Je paye la course, je claque la portière, les doubles portes automatiques s’ouvrent devant moi, m’avalent.
La secrétaire me reconnaît. Elle prévient aussitôt Nolan qui termine sa consultation avant de m’examiner.
— Tu es peut-être enceinte ! Calme-toi !
— J’ai fait trois tests de grossesse. Tous négatifs !
Il me fait un prélèvement de sang pour en avoir le cœur net. Nous attendons. Négatif !
— Qu’est-ce que j’ai ?
— Il faut approfondir !
Une IRM, un scanner, de nouvelles analyses et son diagnostic tombe, inimaginable, comme le couperet d’une guillotine : cancer, métastases, plus que quelques mois à vivre.
Il pleure ! Je m’effondre ! Il n’y a rien à tenter.
*
Je suis assise à une table en terrasse, rue de la Longe, au café Fred. Le soleil brille comme jamais. Je l’attends. Je la vois arriver. Bizarre, elle est vêtue du petit tailleur Chanel que je portais ce fameux jour, quand je lui ai parlé de l’échange. Tous les regards sont braqués sur moi. Je suis très pâle mais si belle. À croire que la maladie m’a momentanément sublimée. Elle ne s’assoit même pas, m’embrasse froidement.
— Qu’est-ce que tu veux ? attaque-t-elle.
— Je veux redevenir Bénédicte !
— Pourquoi ?
— Je crois que tu le sais !
— On ne peut pas faire marche arrière, dit-elle froidement.
Comme j’ai été bête !
— Tu le savais, tu aurais dû me le dire, j’aurais pu me soigner, j’aurais pu…
Elle m’interrompt :
— Rappelle-toi : je t’ai dit qu’on perd parfois au change. Maintenant, oublie-moi !
Elle tourne les talons, s’éloigne et me raye déjà de sa vie. Elle m’efface encore une fois.
Jusqu’aux derniers moments, Nolan me comble. Je m’éteins doucement. La vie me quitte.
*
Quelqu’un me secoue légèrement l’épaule. Je suis assise à une table au café Fred, rue de la Longe.
— Bénédicte ! C’est moi, Maryline. Tu es sûre que ça va ? me dit-elle, penchée au-dessus de mon visage.
— Oh oui, ça va très bien. J’étais simplement perdue dans mes pensées ! En t’attendant j’imaginais des tas de choses.
— Et à quoi pensais-tu pour être si absorbée ?
— À rien et je ne veux pas parler de mon absence.
— OK. Pour savoir ce qui t’est arrivé il faudrait donc qu’on échange nos vies et que…
Je l’interromps comme apeurée :
— Non, surtout pas ! Restons-nous-mêmes !
FIN
Mon 4e roman, LE MANUSCRIT VENU D’AILLEURS sort enfin. Oui, j’ai tardé mais les bonnes choses se font généralement attendre, n’est-ce pas. Il est entre les mains de l’éditeurs qui finalise. je ne manquerai pas de vous indiquer sa date de disponibilité chez les libraires mais le référencement sur les plateformes de vente prend parfois du temps. Un peu de patience encore.
Rappel : les titres et résumés de mes 3 premiers livres, LE LIEN, DESTINATIONS ETRANGES, LA MURAILLE DES ÂMES, se trouvent en page d’accueil ou dans « mes thrillers publiés ». N’hésitez pas à vous les procurer en les commandant en librairie. Vous ne serez pas déçus, le suspense y règne en maître !
Prochain article : un film que j’ai adoré et un livre pas mal du tout ! Soyez au rendez-vous et partagez cet article. Vous pouvez cliquer sur « j’aime », laisser un commentaire, en parler à vos amis. Le bouche à oreille, c’est vous ! Mon succès dépend de vous et je vous en remercie.
AUDREY DEGAL