Quelle belle journée ! fin

Résumé de l’épisode précédent : Claire a vécu une journée parfaite, comme il en existe peu ou pas, une journée comme nous voudirons tous en vivre, où tout se déroule extraordinairement bien.
Quand vous vous levez, parfois, en pleine nuit, les idées encore ensommeillées, vous ne parvenez pas toujours à faire la part des choses. Il est alors difficile de savoir si vous êtes encore dans votre lit, au coeur d’un rêve ou si vous errez dans votre propre réalité.
C’est exactement ce qui est arrivé à Claire, ce matin-là !
La veille, elle s’est couchée trop tard car il lui fallait absolument finir de corriger deux paquets de copies afin de les rendre. Les conseils de classes trimestriels approchent ! Pas le choix ! Lorsqu’elle inscrit sa dernière note, un 6/20, il est plus de minuit. Elle va se coucher mais le sommeil ne vient pas. Elle tourne encore et encore dans son lit, assaillie pas des idées noires et tous les tracas de la vie professionnelle qui semblent s’être donné rendez-vous ce soir-là, à la même heure, au même endroit. Elle pense pêle-mêle aux exercices qu’elle n’a pas eu le temps de préparer, aux deux réunions qu’elle a enfin de journée, à l’organisation de la sortie pédagogique qui dévore son temps…
Il est trois heures quand elle s’endort, et six heures quand la radio du réveil, trop forte se met à hurler. Ce sont les informations :
— … la course à la présidentielle continue et les candidats ne ménagent pas leurs adversaires. L’affaire des emplois fictifs agite les deux camps qui…
Claire sort le bras de la couette pour tenter d’atteindre le bouton d’arrêt. Sa main heurte l’appareil qui décolle et atterrit sur le parquet. La voix du commentateur devient nasillarde, monocorde et une seconde plus tard elle agonise.
— Eh merde ! fait Claire. Mais quelle heure il est ?
Le jour pointe à travers les persiennes. La chambre est partiellement éclairée. Claire ouvre les yeux et s’interroge.
— Il fait jour… à six heures… au mois de février !
— Oh non !
La jeune femme se jette sur sa montre et lit :
— 7h35 ! Bonté divine ! J’ai mal dû programmer mon réveil. Je vais être en retard. Dire que ça ne m’est jamais arrivé !
C’est le branle-bas de combat !
Elle saute du lit et son pied droit propulse une de ses pantoufles sous le sommier. Tant pis, pas le temps de l’attraper. Elle saute dans le premier jean qu’elle trouve et enfile un chemisier pris, au hasard, sur le dessus d’une pile de linge. Sur un pied, afin de mettre sa dernière chaussette, elle se dirige vers la fenêtre et ouvre les volets, sans les accrocher. Elle veut juste voir le temps qu’il fait.
— J’irai en moto, se dit-elle, pensant ainsi gagner un peu de temps.
Mais dehors il fait gris et une pluie mêlée de neige vient contredire ses projets. Elle a toujours détesté l’hiver, le froid et plus particulièrement le mois de février. Dans la salle de bains, elle se donne un coup de brosse, boit une gorgée d’eau et se regarde dans le miroir. S’il avait pu parler, elle n’aurait pas aimé ce qu’il lui aurait dit. Elle surgit dans son bureau, boucle son cartable à la volée, s’empare des clés de la voiture dans le couloir et tire la porte de son appartement derrière elle. 10 minutes se sont écoulées.
— J’ai cours à 8 heures, marmonne-t-elle. Je n’y arriverai jamais !
Dans son village, elle roule un peu trop vite et dépasse la vitesse autorisée. Soudain, elle est légèrement éblouie. Comme elle n’est pas une star et qu’aucun paparazzi ne la suit, elle sait qu’elle vient d’être flashée. Dans un ou deux jours, elle recevra un P.V.
Elle arrive au stop où, tous les matins, c’est la croix et la bannière pour passer. Eh bien ce matin-là c’est pire ! D’ordinaire, elle franchit ce lieu stratégique bien plus tôt mais à cette heure de la journée, tous les automobilistes ont décidé de converger sur cette route alors qu’elle est déjà chargée. Impossible de s’infiltrer. Claire abaisse sa vitre, laissant le froid la piquer, et elle adresse un signe puis un sourire aux uns et aux autres éventuellement prêts à oublier qu’ils ont priorité. Rien à faire ! Alors, tout doucement, elle avance et force le passage, gratifiée de noms qu’il convient ici de ne pas répéter.
Sur la nationale, elle roule au pas. Elle n’est pas prête d’arriver ! Qu’à cela ne tienne, dans 300 mètres elle quitte cette route pour prendre l’autre qu’elle connaît, bien plus dégagée.
Elle met son clignotant pour tourner puis se ravise.
« ROUTE BARRÉE »
— Je crois que ce n’est pas ma journée !
Elle garde son calme et joue sur le levier de vitesses, alternant entre la 1ère et la 2ème. Passer la 3ème relève du luxe. Il est 8h25 quand elle arrive devant son établissement scolaire. Le parking est plein à craquer !
Elle marque un temps d’arrêt devant la barrière, renonçant à la franchir. Elle laisse aller son front sur le volant quelques secondes puis enclenche la marche arrière. Elle descend la côte et va se garer à 400 mètres, dans la cité.
*
Quand elle surgit, essoufflée en salle des professeurs, elle lance tout de même un bonjour. Sept ombres matinales sont attablées et tentent désespérément de travailler dans ce lieu que tous ont rebaptisé le « hall de gare ». Tentant vainement de se concentrer dans cette salle des pas perdus, ils lui décrochent un petit « bonjour » et mobilisent leurs efforts pour se concentrer à nouveau sur leur travail.
Sur le tableau d’affichage, Claire constate qu’elle est notée absente. Elle se rend, en courant, à la vie scolaire pour signaler qu’elle vient d’arriver et qu’elle prend sa classe en charge. Elle jette un œil dans la cour, et remarque que des dizaines d’élèves attendent dehors surveillés par le pion récemment embauché.
— Salut Johan ! Il y a beaucoup d’élèves ! Qu’est-ce qui se passe ?
— Amandine n’est toujours pas remplacée. Ҫa fait pourtant un mois qu’on a signalé qu’elle serait absente parce qu’elle devait être hospitalisée. Que veux-tu y faire ? Léo a appelé, il ne viendra pas. Son fils s’est fait accroché à vélo ce matin. Rassure-toi, rien de grave !
— Tant mieux ! réagit Claire. Mais certains diront quand même qu’on est toujours absents !
— Tu es devin ! C’est déjà fait !
Lorsque Claire arrive devant les 3ème 4, ils font comme s’ils ne l’avaient pas remarquée.
— Bonjour à tous ! Mettez-vous en rang, s’il vous plaît !
Une dizaine d’entre eux obtempère. Pour les autres, c’est comme si elle n’était pas encore arrivée. Claire a l’impression d’être transparente, l’impression de ne pas exister. Elle s’approche de quelques récalcitrants et les prie de se ranger.
— Bien entendu madame, tout de suite. Veuillez nous excuser !
Ils auraient pu répondre ainsi. Du moins, Claire aurait aimé les entendre s’exprimer de cette façon. Mais au lieu de ces paroles, éloignées de la réalité, voici ce qu’elle entend, qui ne lui est pas directement adressé :
— Rien à foutre ! Pourquoi elle est pas restée chez elle. Et puis on n’a pas envie de s’ranger !
Au même instant, un mot que Claire ne comprend pas fuse et une bagarre naît. Elle s’interpose pour séparer deux élèves qui ne cessent de s’insulter et qui, dans un second temps, en viennent aux menaces. Autour, les autres rient. Expérimentée, elle parvient à les calmer et une minute après, la classe part à l’assaut des deux étages. La cage d’escaliers résonne. On se croirait dans une ruche. Certains s’interpellent comme s’ils étaient à côté l’un de l’autre. Claire a l’impression d’être au marché à la criée. Puis elle entend un grand boum, des rires et une plainte. Comme d’habitude, ils se sont fait des croche pieds ou se sont bousculés. Pour eux, c’est un jeu. Manuel est tombé. Son tibia gauche vient de rencontrer l’arête d’une marche. Il saigne. Claire envoie les délégués chercher l’infirmière, tandis que dans le couloir on dirait qu’une émeute est née. Elle s’époumonne pour leur expliquer le danger de leur comportement. Demain ils auront oublié !
Lorsqu’elle ouvre la porte de la salle, Claire compte un élève blessé et deux exclus, soupçonnés d’être responsables de la chute. Elle complète la fiche d’appel et y porte d’emblée le nom de quatre absents qui ne viennent en cours qu’occasionnellement.
— Non, madame, objecte Samia. Esteban est là !
Claire doit rayer son nom. Il est bien présent, sans cartable, sans cahier mais il a en mains son téléphone portable qu’elle lui demande d’éteindre et de ranger. Il râle, proteste et fait perdre du temps à tous. Que faire ! Mais il fait acte de présence, au moins la moitié de l’année. Elle ne peut rien dire, cette déviance a déjà été signalée.
La classe est mal chauffée. Il faut faire des économies. Dans la précipitation, le matin, elle a enfilé un chemisier trop fin. Elle est gelée. D’ordinaire, même vêtue d’un gros pull, elle a froid et les élèves, statiques, ont souvent les mains glacées. Pour se réconforter, elle pense à cet été quand dans cette même salle il fera 35 degrés et qu’il sera impossible de les mettre au travail tant ils auront l’impression d’étouffer.
La seconde heure de cours se passe comme beaucoup d’autres : trop d’élèves n’ont pas fait le travail demandé et les leçons n’ont pas été apprises. Pourquoi auraient-ils étudié quand généralement celui qui collectionne le plus de zéro est celui qui a gagné. Elle n’est même pas étonnée. Se faire exclure d’un cours est un privilège, un moment où en leur fiche la paix. Comment lutter ? Et puis c’est bien connu, si les élèves n’ont pas le niveau, c’est que l’enseignant ne sait pas les intéresser. Il faudrait organiser des jeux, des voyages, des sorties en bateau… Tous ceux qui n’enseignent jamais ont tous la solution ! Comment n’y a-t-on pas songé avant ? Pourquoi ne l’a-t-on jamais appliqué ? Mais Claire se trouve dans une salle de classe et elle a un programme à respecter ! Bien sûr, il y a l’informatique pour rêver un peu et étudier autrement. Seulement, il faut réserver la seule salle un mois à l’avance, placer deux élèves par poste et prier très très très fort pour que le matériel vétuste veuille bien fonctionner. Comme prévu, elle leur distribue un sujet pour une évaluation. Elle en fera deux autres avec d’autres classes, dans la matinée.
Claire ne se drogue pas et se sent pourtant en overdose. Elle ne supporte plus les incivilités, les insultes quotidiennes et l’impunité. Mais, si elle est dans cet établissement scolaire depuis des années, elle risque d’y enseigner encore longtemps. Enfin enseigner… si on peut dire ! Sa huitième demande de mutation a été refusée l’année dernière. Elle va devoir patienter. Encore ! Plus longtemps !
*
Elle ne déjeunera pas à la cantine. C’est trop bruyant. Il est 14 heures quand elle rejoint la salle des professeurs pour saisir les notes des copies corrigées la veille. Tous les postes sont occupés. Mission impossible ! Depuis le temps que tous exigent des ordinateurs en nombre, modernes et fiables ! Elle consulte le tableau d’information en salle des professeurs et constate que les réunions du soir sont reportées au lendemain, aux mêmes heures. Elle a un rendez-vous, programmé depuis six mois, chez une ophtalmologue. Elle devra appeler et le modifier la date.
— Mince ! Il y a des jours où le sort s’acharne.
Elle décide donc de rentrer.
— Ah, c’est vrai je suis garée loin.
Devant le portail, elle voit des jeunes attendre. Traîner en fait. Ils n’aiment pas aller au collège mais ils ne peuvent s’empêcher de flâner à proximité, voire de se tenir devant. Il leur fait à la fois peur et représente un lieu rassurant, un lieu où on les respecte. Les règles qui s’appliquent à l’intérieur les contraignent mais les rassurent aussi. Même s’ils s’en défendent, il est l’ultime barrière entre l’ignorance et le savoir. Il est une chance mais tous n’en ont pas conscience.
Et elle descend la côte en tenant son col fourré à deux mains. Elle se retient de claquer des dents. Sa main droite, qui tient son lourd cartable, est gelée. Elle n’a pas pris ses gants. De loin, elle discerne un papier blanc sur le pare-brise. Dans la précipitation, le matin, elle s’est garée là où elle a trouvé une place. Malheureusement même sans panneau, l’endroit est frappé d’une interdiction de stationner.
— Deux P.V ! Vivement que la journée s’achève.
Le moteur peine à démarrer. Lui non plus n’apprécie pas le froid. Finalement, il démarre et Claire se sent soulagée. À cette heure-ci, la route est relativement dégagée et 20 minutes plus tard, elle traverse son village, adressant au passage un regard à l’appareil qui, le matin, l’a flashée. Des automobilistes récalcitrants l’ont empaqueté, si bien qu’il est, depuis peu, l’incapacité d’immortaliser les plaques des contrevenants. En beaucoup lui font un pied de nez.
Tout à coup, la voiture se met à donner des à-coups et, en face de la pharmacie, elle semble rendre l’âme.
— Alors là, c’est le bouquet !
Un passant lui vient en aide et, fier de lui autant que railleur, deux minutes plus tard il lui dit :
— Je ne sais pas si vous le savez mais pour avancer, il faut mettre de l’essence !
Obligation sans cesse repoussée par manque de temps ! Esprit trop absorbé par d’autres choses ! Et voilà comment on se retrouve sur le bord de la route, en panne sèche, l’air ridicule et penaud !
— Je vous remercie monsieur, mais ce matin j’étais en retard et ensuite, je n’y ai plus pensé.
— C’est votre jour de chance, il y a une station, juste après l’angle.
— Oui, je suis du coin, je le sais ! Merci et bonne fin de journée.
Claire ferme sa voiture à clé. La station n’est qu’à 100 mètres. Une chance !
« Fermée pour travaux »
Elle s’approche ! Il y a une date de réouverture :
— À un jour prêt ! bougonne-t-elle.
Elle repart bredouille, récupère son cartable et prend la direction de son domicile, 1 kilomètre plus loin. Avec le poids des copies, elle a l’impression de porter une enclume et sa main, engourdie par le froid semble rivée à la poignée.
Enfin, elle arrive.
L’appartement est partiellement plongé dans le noir. Ce matin, elle n’a ouvert qu’un volet. Ragnar est excité comme une puce et il saute, lui lèche les mains et involontairement l’empêche d’accéder à l’interrupteur. Soudain, elle se sent partir, glisser. Le sol de dérobe sous ses pieds. Elle s’affale douloureusement sur le carrelage tandis que sa tête rencontre l’angle d’un meuble. Une odeur acide s’immisce dans ses narines.
— Mon pauvre Ragnar, ce matin je t’ai complètement oublié. Je ne t’ai pas sorti.
Elle se redresse, allume et voit que dans le couloir, une flaque d’urine juste derrière la porte d’entrée.
*
Certains auraient perdu leur calme, d’autres auraient renoncé. Il y a les grincheux, les jamais contents, les impolis. Il y a ceux qui ont le sourire en toutes circonstances, qui vous écoutent et vous sourient. Et puis il y a ceux et celles qui se maîtrisent et, quoi qu’il arrive, se battent pour ne pas être vaincus pas la vie !
Claire adore son métier. Elle y souffre mais elle résiste !
*
Claire soigne sa blessure au front, se change et prend la laisse de son chien. Elle part avec lui, marcher. Tous deux rentrent une heure plus tard et dans la soirée, ils dînent, séparément. Puis, la jeune femme sort les copies de son cartable. Elle s’aperçoit qu’elle a oublié un paquet. Elle pourra dormir plus tôt ce soir, se lèvera plus reposée et demain sera probablement une belle journée ! Qui sait ? Une journée qui pourrait commencer par une douce lumière et un chant d’oiseaux. Une journée qui sentirait, dès le matin, le café et le bon pain chaud. Une journée où il ferait tout simplement très beau. Une journée que chacun peut vivre en ne voyant que le bon côté des choses. Une journée que l’on peut provoquer en souriant aux autres. Une journée où, en arrivant au travail on lui dirait :
— Bonjour, madame ! Comment allez-vous ce matin ?
Et elle répondrait :
— Belle journée n’est-ce pas. Je vais vraiment très bien. Merci !
*******
Ici s’achève ce récit qui se veut sympathique et optimiste. La prochaine histoire sera un récit à suspense. En attendant, je vous rappelle la sortie de mon 3ème livre
LA MURAILLE DES ÂMES

UN THRILLER POLICIER DE 384 PAGES
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Audrey Degal